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préjugés : il a tout désorganisé par passion de parti, par entraînement de secte ! Là où il y avait la paix morale, les républicains des majorités parlementaires ont mis la guerre des croyances et des consciences sous prétexte de laïcisation. Ils ont cru se populariser, surtout servir leurs intérêts électoraux, par des travaux de toute sorte et des prodigalités : ils ont en réalité gaspillé la fortune de la France, épuisé le crédit, accumulé les déficits dans le budget, — dans ce budget qui n’est même pas encore voté pour l’année prochaine. Ils ont tenu à « épurer » la magistrature, c’était le mot à la mode, c’était aussi le moyen d’avoir une magistrature à leur image et à leur usage ; ils n’ont réussi qu’à affaiblir les garanties de la justice, à troubler les juges et à diminuer peut-être la confiance du public. Ils ont voulu avoir une administration à eux, et ils y ont introduit l’esprit de parti et de favoritisme, les délations, les vexations tyranniques, surtout cette idée qu’il suffisait d’être républicain pour avoir droit à tout, même à une décoration. Ils n’ont pas supprimé la préfecture de police à Paris : ils l’ont énervée dans sa constitution, dans son personnel, dans son action ; ils l’ont à peine défendue contre le grand ennemi, le conseil municipal de Paris, occupé encore aujourd’hui à faire destituer les commissaires de police coupables d’avoir empêché l’exhibition du drapeau rouge. — Les radicaux ont mené la campagne, les modérés républicains ont suivi, n’osant ou ne pouvant résister. Qu’en est-il résulté ? C’est que tout s’est amoindri par degré, tous les ressorts se sont relâchés, toutes les idées de moralité publique et d’administration régulière se sont altérées, et un jour est venu où, par une humiliation de plus, la main d’une vulgaire intrigante a suffi pour faire éclater partout la confusion, l’anarchie depuis longtemps préparée. Ce jour-là, il s’est trouvé que tout se décomposait à la fois, que la préfecture de police ne savait plus ce qu’elle faisait ou jouait on ne sait quel rôle inavoué, que la magistrature restait indécise et paralysée, que tous les pouvoirs avaient perdu la tête dans l’effroyable bagarre. C’est là le résultat des fausses politiques, c’est là qu’on est arrivé après dix ans de règne passés à abuser de tout, à tout confondre et à tout désorganiser !

Le goût instinctif, invétéré de l’illégalité et de l’arbitraire dans un intérêt de parti perd les républicains, qui n’ont pas su même garder, dans cette espèce de naufrage, le dernier et précieux avantage de la position que les circonstances leur avaient faite. Par une fortune extraordinaire, la république, qui n’avait jamais passé que comme un ouragan en France, avait eu, à sa troisième apparition dans notre pays, la chance de s’établir régulièrement, pacifiquement, d’être même votée par une assemblée conservatrice. Elle avait son organisation, sa constitution, avec une origine toute légale. C’était son honneur, c’était aussi sa force. Malheureusement, les républicains ont une telle