Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 84.djvu/772

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a occupé Médéa et Miliana, et en a fait des places de dépôt, il vous sera facile de la porter plus loin avec l’augmentation de forces qu’on vous envoie, quand nous avons déjà bien réduit celles d’ Abd-el-Kader. » Ce n’était qu’une escarmouche ; mais la preuve de l’antagonisme était faite. Ni d’un côté ni de l’autre on ne cherchait d’ailleurs à rompre ; Changarnier tenait à gagner d’abord sa troisième étoile, et le gouverneur, qui connaissait les mérites aussi bien que les défauts de son lieutenant, ne voulait pas écarter trop tôt du service d’Afrique un véritable homme de guerre.

Après avoir embrassé d’un coup d’œil l’ensemble des affaires, accompagné du général de Tarlé, chef d’état-major, des généraux Changarnier, Duvivier, Baraguey d’Hilliers, des commandans de l’artillerie et du génie, le gouverneur fit une course rapide à Blida, puis de retour à Alger, où il avait appelé d’Oran le général de La Moricière, il arrêta, de concert avec lui, le 27 février, ses vues pour la campagne prochaine. Il y avait déjà plus d’un mois que, le 21 janvier, à Paris, il les avait fait connaître au ministre de la guerre.

On savait que depuis les premières opérations du maréchal Clauzel contre Mascara et Tlemcen, Abd-el-Kader, sans négliger ces deux villes dont la possession était pour lui d’un intérêt surtout politique, avait reculé beaucoup plus loin ses établissemens militaires et très judicieusement établi sur la limite du Tell et des Hauts-Plateaux sa base d’opérations, de manière à maintenir au nord sa domination sur le pays cultivable et à la propager en même temps au sud à travers les vastes espaces de la région pastorale. Ainsi s’étaient élevés du sud-ouest au nord-est les établissemens de Sebdou, Saïda, Takdemt, Taza et Boghar. D’après ces données, le général Bugeaud avait réglé son plan : c’était dans l’ouest que devait être porté le grand effort de la campagne. Il n’avait pas encore apprécié le profit que pouvait rapporter l’occupation de Médéa et de Miliana.

Un officier du génie, le général de Berthois, avait proposé d’entourer d’un fossé de 10 kilomètres de développement la première de ces places. « Tout cela est chimérique, écrivait à ce propos le gouverneur au ministre de la guerre ; il faut se borner à y avoir une petite garnison ayant, en outre de ses provisions, un mois de vivres pour une colonne agissant tout autour. Miliana est peut-être plus difficile encore à approvisionner ; je suis plus convaincu que jamais des immenses inconvéniens de son occupation ; certainement je me garderais de l’occuper si c’était à faire. Je n’occuperais pas même Médéa. Je raserais ces deux villes et je partirais de Blida pour faire mes excursions. » Mais, enfin, les deux places existaient ; il ne fallait plus chercher qu’à en tirer un parti quelconque.

« Les colonnes partant de Médéa et de Miliana, disait, dès le mois de janvier, le général Bugeaud, ne peuvent aller bien loin ; elles