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et de demi-grains pour charger l’aréomètre ; un autre jour des thermomètres pour remplacer les siens hors de service. Quand son père devra le rejoindre à Bourbonne-les-Bains, il faudra lui apporter un habit de drap vert ou gris avec un petit galon d’or ; et Mlle  Punctis de se mettre en mouvement, de choisir l’étoffe la plus solide, de consulter le tailleur, qui dit que le drap gris n’est plus de mode : on fera un habit vert dont le drap est magnifique. Mais où se montre toute la sollicitude de Lavoisier père, empressé de contenter les moindres désirs de son fils, c’est à propos des poissons rouges que désire Mme  de Brioncourt, chez qui les voyageurs avaient été aimablement reçus. Lavoisier recommande alors à son père de se procurer des poissons rouges au Palais-Royal, par l’intermédiaire de Marianne, la gouvernante de M. Guettard[1], et de les lui apporter à Bourbonne. Pour le coup, le père témoigne sa surprise ; mais que saurait-il refuser ? « Il faudra, écrit-il, que nous tenions le vase qui les contiendra à la main, et encore n’est-il pas du tout certain que nous les portions en vie. Voilà une vilaine commission et bien embarrassante pour des voyageurs. J’oublierai l’embarras et les peines quand je ferai réflexion que je vais vous rejoindre et vous embrasser. » Les lettres du voyageur ne respirent pas moins de tendresse ; plein d’affection pour son père et sa tante, de paroles amicales pour les familiers de la maison, M. de Chavigny, M. de La Fleutrie, il n’oublie pas les serviteurs et Jeannette et Comtois, et la femme du domestique Joseph. Toute cette correspondance intime jette un jour précieux sur ces intérieurs bourgeois du XVIIIe siècle, où règnent les plus pures vertus de famille.

Lavoisier a laissé le journal détaillé de son voyage ; on peut le suivre jour par jour, heure par heure, et se rendre compte de sa régularité au travail. Chaque matin, avant le départ, entre cinq et six heures, il relève les indications du baromètre et du thermomètre, il répète ses observations plusieurs fois dans la journée, et en fait une dernière le soir, à quelque heure qu’on arrive au gîte de la nuit. Sur son chemin, il observe tout : la nature du sol, le relief du terrain, la végétation, et souvent l’écriture heurtée de ses notes indique qu’il les a prises sans descendre de cheval. Il visite les mines, les manufactures, ici une fabrique d’acier, là un atelier de blanchiment de toiles ; quand il ne peut parcourir une localité, il interroge ceux qui la connaissent, principalement les carriers, les maçons, et apprend d’eux où se trouvent les pierres de taille, les moellons, la chaux, le plâtre qu’ils emploient. Dans les villes qu’il

  1. Guettard était attaché au duc d’Orléans comme conservateur de son cabinet d’histoire naturelle, et habitait le Palais Royal.