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l’emporte-pièce ; elles dénotaient avant tout la passion du devoir ; mais elles n’étaient tendres pour personne, ni pour l’Allemagne ni pour ceux qui la représentaient. Il traçait de ses collègues, que j’ai connus pour la plupart, des portraits fidèles, mais sans dissimuler leurs verrues : le ministre d’Autriche altérait impudemment la vérité ; son éloquence était verbeuse, sa bonhomie fausse ; celui de Bade était « ondoyant et divers ; » les rapports du plénipotentiaire wurtembergeois portaient l’empreinte de la frivolité et de la diffusion ; le délégué hessois était moins un diplomate qu’un coureur de fauves, le Saxon était sourd et le Bavarois pointilleux ; dans le nombre, il en était sans doute d’aimables et d’intelligens, mais leur politique était louche, louvoyante ; presque tous subordonnaient le devoir public à l’intérêt privé. M. de Bismarck avait beau les éplucher, il n’en trouvait que trois qui fussent, personnellement et sans réticences ; dévoués à la Prusse. Ceux qui n’aimaient pas la Prusse, et à plus forte raison ceux qui la combattaient, ne pesaient pas lourd dans son estime : il les dénonçait à la vindicte de son gouvernement, en attendant qu’il pût lui-même les persécuter. Son patriotisme était étroit, intolérant ; il n’admettait pas le patriotisme bavarois ou saxon, russe ou autrichien : il ne croyait qu’au patriotisme prussien. Il en est cependant du patriotisme comme de l’honneur : il est de tous les pays. « Il n’y a pas que l’honneur français, » disait l’empereur Alexandre, avec peu de générosité, au général Fleury, lorsque, dans des circonstances pathétiques, pour justifier la déclaration de guerre du mois de juillet 1870, il invoquait l’honneur de la France.

Le délégué prussien traçait de l’Allemagne, d’une plume passionnée, d’humilians tableaux ; il la montrait divisée, jalouse, impuissante, prête à toutes les compromissions, sinon à toutes les trahisons. Il révélait les sourdes hostilités des états du Nord, leurs menées ténébreuses ; il les croyait incapables de sacrifier à la grandeur nationale le moindre de leurs intérêts particuliers. Il s’attaquait surtout aux velléités ambitieuses des cours du Midi, toujours en coquetterie avec la France, et toujours prêtes à se coaliser avec l’Autriche contre la Prusse.

L’ultramontain voit partout la main du franc-maçon ; le libre penseur, celle du jésuite. Du jour où M. de Bismarck répudia les souvenirs d’Olmütz, il ne vit plus que le spectre autrichien.

D’humeur fière et susceptible, il ne pardonna pas à la société de Francfort ses préférences autrichiennes ; il vécut solitaire, souvent froissé. Les procédés hautains du président de la Diète, le comte de Thun, qu’il dut refréner plus d’une fois, et plus encore ceux du général de Prokesch, réveillèrent en lui les instincts batailleurs de sa