de primogéniture, à régner sur une principauté minuscule de 200,000 âmes, tandis que son frère, le prince consort, et son oncle, le roi Léopold, jouaient un rôle considérable dans la politique européenne. Il poursuivait de grands desseins ; il rêvait la couronne impériale, que Frédéric-Guillaume, trop scrupuleux, avait laissé échapper, en 1849. Il attirait à Gotha les chefs du National-Verein, inspirait leurs journaux et présidait des tirs patriotiques. Sans enfans, et fort de l’appui moral qu’il trouvait dans ses alliances de famille, il ne craignait pas de contrecarrer le cabinet de Berlin et de se rendre populaire, au détriment du roi de Prusse, en s’adressant aux passions nationales. — Il avait deux capitales, Cobourg et Gotha, qui se disputaient sa présence. Lorsqu’il était mécontent de Gotha, il s’installait avec sa cour et son théâtre à Cobourg ; et, lorsqu’il avait lieu de se plaindre de Cobourg, il ramenait ses dignitaires et ses chanteurs à Gotha. Compositeur, il condamnait ses sujets à applaudir sa musique. Ses œuvres, dont l’une, Santa-Chiara, dut à la munificence de l’empereur d’être représentée à Paris à grands frais et avec un éclatant insuccès, lui coûtaient peu de labeurs ; le maître de sa chapelle notait et orchestrait, disait-on, les mélodies qu’il chantait ou sifflait en arpentant son cabinet. Il publie aujourd’hui ses Mémoires pour se consoler des déboires que lui ont valus la politique et la musique. Le premier volume, qui vient de paraître, révèle un penseur et un écrivain.
L’évolution de Frédéric-Guillaume avait été aussi brusque que radicale. Tous les partisans de l’alliance occidentale étaient tombés en disgrâce ; on avait défendu au comte de Pourtalès de s’occuper des affaires d’Orient, et lorsque le baron de Manteuffel, pour réagir contre les influences russes, était venu, suivant son habitude, offrir sa démission, il s’était attiré une riposte qui l’étourdissait et le clouait à sa place. « Allons, mon cher, nous sommes en carême, lui avait dit le roi, plus de mascarades I » Le mot fut répété par les adversaires du ministre et méchamment commenté dans les cercles russes.
Que s’était-il passé pour que Frédéric-Guillaume cédât à de pareils emportemens ? Étaient-ce les rapports de Francfort ou ceux de Pétersbourg qui avaient produit dans son esprit une réaction aussi inopinée ? Les personnes bien informées prétendaient que cette volte-face si violente était l’œuvre du parti de la cour, que le général de Gerlach, M. Niebuhr et le feld-maréchal de Dohna s’étaient servis opportunément des menaces proférées par le tsar pour