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assurer l’alliance autrichienne, dont il était le représentant convaincu.

M. Drouyn de Lhnys avait rapporté de sa mission de sombres impressions, qui, à certains égards, justifiaient l’obstination qu’il mettait à défendre ses combinaisons ; il avait constaté que personne à Vienne, ni les diplomates ni les généraux, ne croyait au succès de notre expédition. C’était aussi le sentiment qui dominait en Allemagne, a Je trouve ici, écrivait M. de Moustier, beaucoup de froideur et d’incrédulité pour le succès de nos armes, surtout dans les régions gouvernementales. Ce qu’on en dit ressemble à une oraison funèbre. On ne se préoccupe que de l’éventualité de nos défaites. »

Les Russes avaient pu conserver la liberté de leurs communications ; elle leur permettait de se ravitailler en vivres et en munitions. La lutte du monde ancien et du monde nouveau semblait engagée et devoir se vider au prix d’immenses holocaustes sur les plateaux de la Crimée. Déjà « l’année avait perdu son printemps, » disait Périclès, en prononçant l’oraison funèbre de la jeunesse athénienne moissonnée à Samos ; les armées alliées, cruellement éprouvées, pleuraient leurs chefs. Ni le maréchal de Saint-Arnaud ni lord Raglan ne devaient entrevoir la fin de la campagne qu’ils avaient glorieusement ouverte. Ils succombèrent de la même maladie ; l’un au lendemain d’une victoire, le chef anglais au lendemain d’un échec[1] ! Des luttes nouvelles, de nouveaux, d’immenses efforts, telle était la perspective qui s’offrait à la France et à l’Angleterre devant Sébastopol. M. Drouyn de Lhuys ne voyait plus de salut que dans une étroite alliance avec l’Autriche ; il donna sa démission. L’empereur le supplia de reprendre son portefeuille ; il lui écrivit une lettre instante, affectueuse, pour le faire revenir sur sa détermination. Ce fut en vain. Le ministre ne lui dissimula pas qu’il était profondément blessé d’avoir été désavoué, en présence et sur les instances de lord Cowley. « Vous avez affaibli mon autorité, disait-il dans sa réponse, en désapprouvant mes actes devant un ambassadeur étranger. » Il était d’ailleurs convaincu que l’obstination de l’Angleterre à poursuivre la lutte aboutirait immanquablement à des désastres, et il ne se souciait pas de présider à des catastrophes. Il désespérait inopportunément des forces de la

  1. Après l’attaque du 19 juin contre Malakoff. — Mémoires de lord Malmesbury. Lord Raglan est mort atteint du choléra ; l’insuccès de l’attaque de Malakoff aggrava son état. Il avait été le bras droit de lord Wellington pendant la guerre de la péninsule. Il était bien tourné, élégant et charmant de sa personne, et d’un sang-froid remarquable au feu. « Il avait le calme qui ne le quitte jamais, » disait Saint-Arnaud dans sa fameuse dépêche sur l’Alma.