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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 84.djvu/903

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situation analogue à celle dont ils avaient joui au temps de leur maîtrise mystique sur le monde. Dès qu’ils se sentirent libres du côté de la chrétienté, par la fin du schisme, la clôture des conciles, la répression des hérésies de Huss et de Wicleff, les papes du XVe siècle se mirent à édifier leur grandeur temporelle. Les dernières traces de l’autonomie communale de Rome disparaissent sous Martin V, antérieurement à 1450. Nicolas V, Calixte III, premier pape Borgia, Pie II, Paul II, sont rois de Rome sans conteste ; mais leur royauté est encore chancelante dans le patrimoine, où les vieilles familles gardent, sur leurs fiefs, toute l’indiscipline féodale. D’autre part, ces pontifes se rallient, parle mécénat, par la protection des humanistes et des artistes, à la civilisation princière de la renaissance ; mais, pour eux, accueillir la renaissance, c’est-à-dire l’esprit de critique et les lettres païennes, c’était témoigner une fois de plus de leur abandon du rôle théologique soutenu par l’ancien pontificat. Le règne de Pie II, qui va de 1458 à 1464, marque le terme dernier de cette crise historique de l’église romaine. Quelques années auparavant, Eugène IV avait encore essayé, non sans grandeur, de réconcilier l’église d’Orient avec la foi latine ; sa tentative avait échoué. Mais Nicolas V, quatre ans avant l’élection de Pie II, avait été pris pour arbitre par toute l’Italie, et avait présidé à la signature d’une trêve de vingt-cinq ans entre Rome, Naples, Florence, Milan et Venise. Avec ce pape, le saint-siège fut quelques jours, et pour la première fois, le point d’équilibre de la péninsule. Puis Calixte III, revenant, mais trop tard, à la tradition purement ecclésiastique, s’attacha, avec une passion tout espagnole, à la croisade contre les Turcs ; il mourut, convaincu de l’impuissance politique de la papauté en matière religieuse. Pie II reprit le projet de croisade ; il voulut rétablir la primauté de Rome sur les églises nationales. Louis XI lui accorda l’abolition de la pragmatique de Bourges, mais le parlement et l’université aidèrent le roi à l’observer en dépit du pape. Quant à la croisade, ce pape aimable usa à la préparer les dernières forces de sa vie. A Ancône, au moment de mourir, il conjurait, en pleurant, son ami Bessarion de ramener à Rome sa dépouille mortelle. Il s’était trompé en venant seul au bord de cette mer, sur le chemin de Jérusalem, que les chrétiens avaient oubliée. C’est à Rome qu’il donnait sa dernière pensée, à la capitale toute temporelle de la royauté pontificale, au souvenir des lettres antiques, à la civilisation séculière dont la papauté allait partager avec Florence la direction pendant plus d’un demi-siècle, après avoir d’abord tranquillement fermé l’Évangile.

Or, dans le temps même où une grande crise sociale obligeait la papauté à se retirer du gouvernement œcuménique du monde,