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esprits. Il avait alors plus de soixante et un ans. C’était un juriste, élève de l’école de Bologne, peu lettré, que les livres, la science, les antiquités, les arts n’ont jamais charmé. A vingt ans, il fut créé, par son oncle Calixte III, archevêque de Valence, sa patrie, et cardinal-diacre, puis vice-chancelier de l’église. Il possédait d’innombrables bénéfices, et, sous Sixte IV, il était le plus riche des cardinaux après d’Estouteville. Il fut légat en Espagne, et écrivit sur le droit canonique conformément à la doctrine de l’absolue puissance des papes. Il vivait en grand seigneur, comme les cardinaux Sforza et Riario ; il n’était point comparable pour l’énergie de la volonté au cardinal Rovere. Il se dérobait à la curiosité populaire, caressant, au fond de son palais, les espérances d’une ambition obstinée, heureux de couver ses richesses et de faire la fortune de ses enfans. Jadis, le doux Pie II lui avait reproché paternellement, en un long monitoire, la liberté de ses mœurs et ses soupers trop joyeux avec les dames de Sienne. Vers 1467, il s’était lié avec Vanozza Catanei, plus jeune que lui de onze ans ; cette femme, une Romaine de naissance obscure, eut deux ou trois maris très indulgens, à qui Rodrigo donna des places lucratives dans l’administration apostolique. Rien n’indique qu’elle fut comparable, pour l’esprit, aux grandes courtisanes de ce temps ; elle vécut discrètement, dans l’ombre du pontificat : Burchard ne la mentionne qu’une seule fois, à propos de la plus tragique histoire de la famille. Mais elle vieillissait plus vite que Borgia, et celui-ci, trois ans avant son élection au saint-siège, avait voulu goûter la joie d’une seconde jeunesse. Giulia Farnese, Giulia la Bella, dont la chevelure d’or était fameuse dans toute l’Italie, enfant de quinze ans, fiancée par hasard à un Orsini, devint donc, dès le mois de mai 1489, la favorite du futur pontife. Son frère Alexandre, qui aida à cette brillante fortune, reçut plus tard le chapeau rouge. Avec lui commença la grandeur politique de Farnèse. Ce jeune cardinal, qui, sous Innocent VIII, avait fait emprisonner sa mère, calomnieusement accusée par lui, fut le pape Paul III.

Cependant, ni Vanozza ni Giulia ne pouvaient inquiéter l’église et l’Italie. Un tyran de Rome, endormi dans le plaisir, eût rassuré Naples, Florence et Milan. Les contemporains ont admiré ce prince ecclésiastique, « haut de taille, toujours souriant, aux yeux noirs, aux lèvres merveilles, à la santé robuste, infatigable, » qui entraînait vers lui les dames « par son regard magnétique, » dit Gaspard de Vérone. Mais il portait entre ses bras, à la chaire de Saint-Pierre, une trop nombreuse famille ; toute une dynastie entrait avec lui dans le pontificat. On lui connaissait alors sept enfans. L’aîné, Pier Luigi, le premier duc de Gandia, était mort en 1491 ; une bulle de Sixte IV l’avait légitimé, au nom de Rodrigo Borgia, en 1481. Le second, don