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reculait pas devant les invectives, elle s’attaquait au président du conseil ; souvent elle se permettait de perfides insinuations contre la cour de Coblentz : elle lui reprochait ses sympathies anglaises, elle accusait ses entours de conspirer contre l’état. La princesse Augusta n’était pas ménagée, on ne lui pardonnait pas son esprit et sa grâce ; son tort le plus grave était d’avoir sur la reine l’avantage de la maternité. Les amis de l’héritier présomptif, le comte de Goltz, le comte d’Usedom, le comte de Pourtalès, M. de Bethmann-Holweg, ripostaient avec véhémence contre les attaques de l’organe féodal dans le Preussische Wochenblatt ; ils s’efforçaient de soustraire M. de Manteuffel aux influences russes, et de l’entraîner vers la France et surtout vers l’Angleterre. M. de Bismarck les appelait « les conspirateurs de l’hôtel royal, » c’était le nom de l’hôtel qu’habitait l’un d’eux et où ils se concertaient d’habitude. Le président du conseil louvoyait entre les deux partis ; il était plus enclin aux compromissions qu’aux témérités. Il s’appliquait à prémunir le roi contre les entraînemens de son cœur et de son imagination. Lorsque Frédéric-Guillaume refusait de se rendre à ses argumens, il offrait sa démission, et le souverain effrayé d’être abandonné par un ministre qui savait concilier ses actes et ses paroles, souvent contradictoires, le suppliait de reprendre son portefeuille. M. de Manteuffel s’appliquait, en s’inspirant des principes de M. d’Haugwitz, à ne s’engager d’aucun côté. « Nous ne voudrions pas, disait-il dans une circulaire qui est restée célèbre dans les annales de la diplomatie, prendre un engagement qui nous liât. » Il avait imaginé un moyen ingénieux pour soustraire son souverain aux instances des puissances belligérantes. Lorsqu’elles le mettaient en demeure de se prononcer, il recourait aux missions extraordinaires ; il disait que la religion du roi avait besoin d’être éclairée et, qu’avant de conclure, il désirait, par de franches explications avec les gouvernemens, dissiper les équivoques. Le comte d’Usedom, le comte de Pourtalès, le prince de Hohenzollern, le général de Willisen, le général Wedel, le général de Lindheim, le général de Groeben et le colonel de Manteuffel partaient, en effet, tour à tour, soit pour Pétersbourg et Vienne, soit pour Paris et Londres, non pour traiter, mais pour gagner du temps, a On m’a envoyé, écrivait lord Clarendon à son chargé d’affaires à Berlin, en parlant du général de Groeben, pour m’expliquer une chose inexplicable, un homme qui ne sait pas s’expliquer. »


V. — FREDÉRIC-GUILLAUME IV ET SON MINISTRE.

Le baron de Manteuffel, qui avait succédé à M. de Radowitz, à une heure douloureuse pour le patriotisme prussien, était un