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autre homme : le marquis Max de Simiers est le seul mâle de la pièce. Dans la maison de campagne où se passe l’action, il n’y a même pas un valet : apparemment, depuis Ruy Blas, Arnolphe s’est souvenu de Mascarille ; il a renvoyé Alain, par prudence. A parler sérieusement, il se peut qu’une telle précaution trahisse une certaine défiance de la thèse ou du thème qui est le support fragile de cette œuvre ; après tout, elle est sage, et d’ailleurs elle donne à l’ensemble un aspect original : n’est-ce pas la première fois, sauf peut-être en quelque ballet, qu’on voit sur le théâtre un seul coq pour autant de poules, — celle-ci d’abord, qui est charmante, et cette fine poulette, et puis ces deux-là, l’une étique et l’autre dodue, l’une « traînant l’aile et tirant le pied, » l’autre à la houppe éclatante et à l’ergot insolent, quatre rivales enfin, sans compter la présidente du concours, cette bonne vieille poularde ! Regardons-y d’un peu près : s’il a écarté Horace, en retour, le poète, pour reconstituer le drame, a suscité en face d’Agnès, devenue l’admiratrice d’Arnolphe, une sérieuse émule : voilà le trio. Écoutons-le, il chante à merveille.

Elle est charmante, en effet, presque trop charmante, cette jeune femme qui doit, à la fin, se sacrifier à la jeune fille : (elle acquitte ainsi la dette contractée dans l’Étincelle, — dont la Souris, en un certain sens, est la contre-partie ; notons, d’ailleurs, que « l’étincelle, » ici, jaillit du cœur de l’homme, d’un cœur où quelque reste de feu a toujours refusé de s’éteindre). Parisienne réfugiée à la campagne, Clotilde, comtesse Wolska, est une Francillon qui a tourné court et bien tourné. Peut-être avait-elle dans le sang et les nerfs moins d’ardeur et d’énergie que l’héroïne de M. Dumas ; peut-être est-elle vraiment, comme elle le confesse, « de la race des sœurs » plutôt que de la race des amoureuses, même fidèles à un seul et juste amour. Mais surtout elle a eu cette chance que son mari, un étranger perdu de débauche, est devenu gâteux assez tôt : pendant qu’on emmenait ce malheureux dans une maison de santé, elle est sortie du tourbillon des plaisirs mondains. Retirée chez sa mère, une bonne provinciale, soudain, elle voit reparaître en visiteur un compagnon des anciennes fêtes, un camarade ou plutôt un ami. Avec quelle mutinerie décente et quel mélancolique enjouement elle lui rappelle que, dans cette rumeur grisante de Paris, lui, un viveur, il a murmuré naguère d’utiles avis à son oreille ! « Vous m’avez dit : Laissez donc cela aux autres, Clotilde, vous n’êtes bonne qu’à faire une honnête femme, vous !.. Ce que cela m’a vexée !.. Mais que c’était bien à vous ! Vous êtes un honnête homme, mon ami ! » Et, si elle évoque ce souvenir, c’est que, présentement, trop touché de ses vertus et de ses grâces, il est tout près, ce Mentor, de lui chuchoter d’autres paroles, qu’elle n’a pas le droit d’écouter. Et, sentant l’approche de cet amour, qui ne lui déplaît pas, elle veut le détourner, avec une rare simplicité de courage, vers une