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de Pépa en insolence ; et lorsqu’il trouve une lettre qui traîne, ce raffiné de courtoisie, une lettre d’une jeune fille à une jeune fille, il la lit sans barguigner, de l’air le plus naturel du monde. Voilà ses façons, à ce monsieur qui s’accuse de représenter l’ancien régime : c’est bien heureux, ma foi ! qu’il n’entreprenne pas de se mettre en règle avec le nouveau ! « La rue dans le salon, » d’après l’auteur de la Souris, c’est la formule de la société contemporaine. Il a son pessimisme, lui aussi, qui, dans les solennités académiques, raille si galamment les pessimistes. Assurons-le qu’il y a encore dans la rue de bonnes gens qui ne s’appellent pas à tout bout de phrase « marquis,.. » « baronne,.. » « comtesse,.. » et qui ne lisent pas une lettre trouvée ; — il y en a même dans les salons.

Enfin, M. Pailleron ne saurait, sans ingratitude, rester aussi féroce pour une société qui produit encore de pareils comédiens. M. Worms a joué la première moitié de son rôle avec un brio, une élégance rapide et fringante qu’on ne lui connaissait pas ; il s’est retrouvé dans la seconde ce qu’il est à son ordinaire, un merveilleux virtuose de la passion. Mlle  Bartet, sous le nom de Clotilde, c’est la perfection humaine, et Mlle  Reichemberg, sous le nom de Marthe, la perfection extra-humaine : on peut disputer si l’une est préférable à l’autre ; l’important, c’est que nous ayons toutes les deux. Mlle  Montaland représente assez finement la mère, avenante et effarée ; Mlle  Broisat rend bien l’afféterie de la langoureuse Hermine. Des juges trop délicats ou chagrins ont reproché à Mlle  Samary l’exubérance de Pépa : elle joue le rôle, à mon sens, tel qu’il est écrit. On voulait, apparemment, qu’elle le transposât en mineur ! Sans la franchise de sa verve, qui est naturelle et saine, le personnage semblerait plus choquant. Un air de retenue le rendrait inexcusable. Supposez que Mlle  Reichemberg s’y essaie… « Oh ! là là ! » comme dit Pépa. Un enfant de chœur chantant du Béranger !

Il faut cependant que je parle enfin de la Tosca ! D’ordinaire, que j’étudie une pièce au lendemain de son apparition ou trois semaines après, je ne suis pas embarrassé pour dire la vérité : ceux qui me font l’honneur de me lire le savent bien. Mais M. Sardou, cette fois, a rendu la tâche difficile aux critiques d’arrière-garde : en présence des reporters stupéfaits, il a chargé nos éclaireurs et le gros de notre armée avec une telle furia d’admiration pour son propre ouvrage, une telle ardeur de mépris pour quiconque ne l’adorait pas ! Moi, traînard, isolé, si je ne conviens pas que ce drame est irréprochable, je vais être égorgé sur les corps de MM. Sarcey et Jules Lemaître, hachés menu comme chair à pâté. Pauvre Lemaître !.. Il écrivait ses feuilletons comme tout ce qu’il écrivait, en homme de lettres, en artiste, c’est-à-dire avec bonne foi. Eût-il produit récemment, pour son compte personnel, un petit chef-d’œuvre (il en est bien capable !), il n’aurait pas mis plus de complaisance à voir la Tosca tout en beau ; fût-il, au contraire,