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pourraient sans doute se tromper dans leurs calculs. Malheureusement, avec toutes leurs déclamations, il y a un autre résultat qu’ils sont plus sûrs d’atteindre. Voilà ce qui arrive en effet : pendant des semaines, pendant des mois, on s’épuise à couvrir un homme de tous les outrages, à le désigner aux sicaires, à remuer toutes les passions de guerre civile, toutes les colères contre lui, et un jour vient où un obscur fanatique s’en va tout simplement essayer de tuer « cet homme avec tranquillité ! » C’est toute l’histoire de cet attentat commis ces jours derniers en pleine salle des Pas-Perdus de la chambre des députés contre M. Jules Ferry, qui a heureusement échappé aux coups du meurtrier. La tentative qui a été dirigée contre M. Jules Ferry, et qui n’a eu d’autre succès que de tourner vers l’ancien président du conseil tous les regards, toutes les sympathies, est évidemment l’épilogue de la triste campagne poursuivie depuis quelques semaines. C’est aussi une des moralités de cette longue crise, et si les événemens ont un sens, c’est qu’il faut enfin sortir de cette atmosphère d’excitations et de haines, c’est qu’on doit, par la fermeté de conduite d’abord, par des lois nouvelles s’il le faut, se hâter de raffermir la paix publique pour rendre quelque confiance au pays.

Quelle sera maintenant la politique de la présidence nouvelle entrant à l’Elysée dans ces conditions ? Elle semblerait résulter des circonstances où il s’agit bien plus de tout préserver que de tout ébranler ; elle est peut-être indiquée aussi par le caractère du nouveau président, qui arrive au pouvoir libre d’engagemens, avec des intentions sincères, des qualités modestes et un esprit modéré. M. Carnot n’a pas sans doute devant lui une œuvre des plus aisées, et il a pu le voir tout d’abord par les difficultés qu’il a éprouvées à organiser son gouvernement, à former un cabinet. A vrai dire, ce qu’il aurait eu probablement de mieux à faire, c’est de garder pour le moment l’ancien ministère, dont le chef, M. Rouvier, a montré autant d’art que de mesure et comme président du conseil et comme ministre des finances ; mais on a tant parlé de la nécessité d’avoir un ministère nouveau d’union sur le modèle du scrutin présidentiel, que M. Carnot s’est prêté à toutes les combinaisons. M. Goblet s’est chargé le premier de faire un ministère allant des républicains les plus conservateurs aux radicaux les plus caractérisés, aux partisans de la mairie centrale de Paris, — il choisissait bien son moment ! — et il a naturellement échoué. Le ministre de l’intérieur de l’ancien cabinet, M. Fallières, qui est lui-même un homme modéré, a tenté à son tour l’aventure : il a concilié, fusionné, et il en a été pour sa diplomatie. M. Tirard, appelé sur ces entrefaites au secours de M. le président de la république, a fini par réussir ; il a formé, en gardant M. Flourens aux affaires étrangères, un cabinet qui semble peu brillant, qui borne vraisemblablement son ambition à être un cabinet d’affaires, et qui est