Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 85.djvu/130

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’or, d’un velouté et d’un fondu délicieux, qui, comme nos anciens vitraux, éveille des idées d’ardeur mystique. Cette richesse de tous révèle une richesse pareille de sentimens et de pensées. Lorsque l’art trouve ainsi des transitions plus subtiles et plus délicates entre les couleurs fondamentales, c’est que l’âme humaine a plus de délicatesse et de subtilité. Elle se développe et se dilate, pour ainsi dire, embrassant toujours un plus grand nombre de sensations et d’idées. Les peuples enfans aiment les couleurs tranchées et voyantes. Ceux qui ont beaucoup agi et beaucoup souffert ont une prédilection pour le clair-obscur et les nuances.

Aussi les marbres de Saini-Dimitri, ces porphyres, ces jaspes, tout décolorés qu’ils sont par le temps, m’apparaissent comme les reflets lointains de ces âmes compliquées et profondes. J’entre au soleil couchant : d’une haute fenêtre, un dernier rayon promène son prestige dans la pénombre de l’église; il semble éveiller successivement ces losanges et ces médaillons endormis sous la poussière. Je crois entendre autant de voix murmurant, du fond des siècles, leurs émotions ou leurs prières. Chacune de ces vieilles pierres, dont le soleil réchauffe les veines pâlies, exprime à sa manière une nuance d’amour, d’espérance ou de foi; car ceux qui les ont placés là, séduits par leur éclat caressant, apportaient à la maison du Seigneur ce qu’ils avaient trouvé de plus beau. Pour donner un corps à mon rêve, voici que le rayon effleure le tombeau d’une jeune chrétienne, à l’entrée de l’église : il est surmonté d’une inscription grecque, et encadré d’une de ces délicates guirlandes que plus tard la renaissance devait tant reproduire. Est-ce le déclin d’un art qui meurt ou l’aurore d’une ère qui commence? Le doute est permis, car Saint-Dimitri remonte aux premiers siècles de notre ère. L’église, à cette époque, n’était point exclusive; elle acceptait l’héritage antique. Ces colonnes de porphyre, avec leur chapiteau corinthien, ont été enlevées à un temple grec. Dans le charmant crépuscule d’un monde qui s’éteignait, d’un autre qui naissait, on put croire un instant que l’humanité s’acheminait sans secousse vers ses futures destinées, emportant avec elle tout ce qu’elle avait sauvé du passé. La jeune fille qui dort sous ce marbre n’était-elle pas païenne encore par la tunique flottante et libre, déjà chrétienne par le maintien et la pudeur? Mais, tandis que je m’oublie dans le regret des choses mortes, les vieux piliers me tiennent un autre langage : « Vois, disent-ils, nous avons supporté d’abord le temple de Jupiter Olympien. Plus tard, nous sommes venus orner la demeure du Christ. Aujourd’hui, nos fronts vingt fois séculaires président au culte de Mahomet. Nous avons vu les enfans des hommes se prosterner devant trois autels différens. De tant de générations qui se sont écoulées sous nos portiques, nous n’avons