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juge d’instruction le renvoie devant la chambre des mises en accusation qui rend contre lui un arrêt de mise en accusation devant la cour d’assises, il devient accusé. À ces situations différentes répondent, ou du moins devraient répondre, d’après la loi. autant de lieux de détention distincts. Aux termes du code d’instruction criminelle, les prisons destinées aux prévenus sont dites maisons d’arrêt; celles destinées aux accusés sont dites maisons de justice, et elles doivent être entièrement distinctes des prisons pour peines. Voilà la théorie. Voyons maintenant la réalité. Il n’existe en France que quatorze maisons d’arrêt ou de justice distinctes des prisons pour peines. Dans toutes les autres prisons, les prévenus ou les accusés sont détenus dans un quartier spécial de la prison pour peines. Le nom officiel de ces prisons pour peines est : maison de correction. Mais, dans la pratique, on les appelle : prisons départementales, par opposition aux maisons centrales, qui appartiennent à l’état. Au contraire, les prisons départementales, ainsi que leur nom l’indique, appartiennent aux départemens. L’empereur Napoléon Ier leur a fait, par un décret daté de 1809, ce cadeau assez onéreux, et sa générosité apparente n’avait en réalité qu’un but : décharger l’état d’une dépense qui lui incombait naturellement, celle du logement et de l’entretien des détenus. Les départemens ont supporté cette double charge jusqu’en 1855. En cette année bénie pour eux, une disposition de la loi de finances transféra de nouveau à l’état la charge de l’entretien des détenus, mais les départemens conservèrent et conservent encore la propriété des prisons. De ce dualisme d’autorité dans les prisons départementales, le département étant propriétaire et l’état usufruitier, ou plutôt administrateur, résulte la situation la plus étrange, qui a son contre-coup sur la condition faite non-seulement aux prévenus, mais aux condamnés. Le petit nombre des maisons affectées spécialement aux prévenus et aux accusés, et la similitude qui existe, comme nous allons le voir, entre le régime de ces maisons et celui des prisons pour peines, obligent à parler en même temps des unes et des autres, sauf à marquer, lorsque l’occasion s’en présentera, les différences qui séparent le régime des prévenus ou accusés de celui des condamnés.

Il existe en France 379 prisons départementales. Ces 379 prisons contenaient, au 31 décembre 1884, 25,231 détenus. C’est déjà là un chiffre considérable. Mais ce chiffre n’est rien comparé à celui du mouvement, c’est-à-dire des individus qui, pendant le cours d’une même année, ont passé dans les prisons départementales un temps plus ou moins long. Pendant l’année 1884, 290,191 individus sont entrés dans les prisons départementales. Sur ce nombre, 173,913 venaient de l’état de liberté; 65,764 sont sortis