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à vue. On prétendait lui imposer, pour président de son conseil, un certain docteur Krutziger, chef du parti démocratique, qui lui faisait horreur. Ernest II, accompagné d’un secrétaire, se rend à Altenbourg dans un compartiment de seconde classe. Après avoir dîné au cabaret, il franchit deux barricades et réussit à pénétrer au château. Il raisonne l’auguste prisonnier, le réconforte, le rassure, le persuade, l’engage à vaincre ses répugnances et ses frayeurs, à s’arranger avec Rabagas, et le lendemain Rabagas reconduisait respectueusement le duc Ernest à la gare. Il portait encore un chapeau mon surmonté d’une plume couleur de sang ; mais à quelques jours de là, nous as jure le duc. il était devenu un homme de gouvernement, un ministre fort modéré, presque sensé, qui en valait beaucoup d’autres.

Tout en vaquant à ses affaires et à celles de ses voisins, Ernest II avait lieu de méditer à part lui sur les contradictions des hommes en général et des Allemands en particulier. Ayant sous son commandement deux très petits duchés, dont l’un était un bien de patrimoine et l’autre un acquêt, il tâchait depuis longtemps de rattacher plus étroitement Saxe-Gotha à Saxe-Cobourg, d’obtenir qu’elles consentissent à vivre sous la même constitution, à se laisser administrer en commun. Il y avait perdu ses peines. Non-seulement les populations étaient jalouses de leurs droits, de leurs intérêts séparés, les principaux fonctionnaires des deux duchés se détestaient cordialement. On aurait pu s’imaginer qu’en 1848, la réconciliation se ferait d’elle-même. D’un bout à l’autre de l’Allemagne, on ne parlait que d’unité nationale, de parlement national, de grande patrie. Cependant Cobourg et Gotha s’entêtaient à vivre séparés de corps et de biens ; c’était les prier de leur déshonneur que de les engager à s’entendre, leurs chiens refusaient obstinément de chasser ensemble : « Dans un temps où les hommes les plus raisonnables étaient en proie à des rêves de mégalomanie nationale, il était impossible de régler la plus simple affaire d’administration commune, et force était de constater que le particularisme ou la politique de clocher est un héritage auquel l’Allemand ne renoncera jamais. »

Il est beau de conserver toute sa tête dans un temps d’orages où tout le monde la perd. Les révolutions n’apportent que de cruels désagrémens aux princes modestes ou pusillanimes qui cherchent le bonheur dans le repos. Les ambitieux en prennent plus facilement leur parti ; elles leur procurent les occasions qu’ils quêtaient, c’est dans l’eau trouble que se font les pêches miraculeuses. Le duc Ernest s’imposait à l’attention de l’Allemagne et par son libéralisme et surtout par ses exploits dans la guerre très populaire du Slesvig-Holstein. Il ne nous dit pas jusqu’où il portait ses espérances ; mais il raconte dans le plus minutieux détail ses campagnes, cette brillante affaire d’Eckernfoerde