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ressembler à l’année qui finit. Malheureusement, c’est tout le contraire jusqu’ici : les années se suivent et se ressemblent, accumulant les mécomptes. Elles commencent par des crises, elles finissent par des crises, en passant par la série indéfinie des incidens prévus ou imprévus. On vit à travers tout, il est vrai : c’est la compensation, et s’il est un phénomène frappant, c’est cette énergique vitalité d’un pays qui se sent mal gouverné, qui subit tout, qui résiste à tout par la force de son génie pratique et de ses mœurs laborieuses, attendant toujours un meilleur lendemain lent à venir.

C’est l’histoire du temps. Toutes ces années qui sont déjà derrière nous se ressemblent sans doute : elles représentent une grande et meurtrière expérience, le règne des idées fausses, des passions de parti, des majorités violentes et incohérentes, des ministères sans fixité, et l’année qui s’achève aujourd’hui n’est que la suite de celles qui l’ont précédée et préparée. Qu’a-t-elle été, qu’a-t-elle produit en définitive? Elle a, il est vrai, dans son histoire, deux bons momens. Au printemps et à l’automne, elle a vu s’élever sur nos frontières des Vosges, à Pagny-sur-Moselle et à Vexaincourt, deux incidens singulièrement délicats qui pouvaient mettre la paix en péril, et il s’est trouvé dans le gouvernement des hommes qui ont su conduire ces graves affaires avec une habile mesure, sans trouble et sans bruit. On a eu l’heureuse fortune de sauvegarder les droits et la dignité de la France, en écartant une complication redoutable, en évitant, pour tout dire, la guerre, que la plus légère imprudence aurait pu déchaîner. La paix a été préservée sans faiblesse, c’est ce qu’il y a de mieux. En dehors de ces deux événemens, qui ont fait la position et le crédit de M. le ministre des affaires étrangères encore aujourd’hui au pouvoir, que reste-t-il en vérité? Il reste des incohérences intérieures, de vaines querelles, l’impuissance du parlement pour les œuvres utiles, les indécisions agitées d’une politique sentant qu’elle ne peut aller plus loin dans la voie où elle a entraîné le pays et ne sachant ou n’osant se redresser. Il y a eu sans doute comme diversion l’épisode héroï-comique, la grandeur et la décadence de M. le général Boulanger, le ministre prétendu nécessaire, à la popularité un moment bruyante, et dont on ne parle plus même aujourd’hui. Il y a eu les fureurs radicales contre un ministère de bonne volonté, qui a essayé un instant d’être modéré, qui a malheureusement mis ses bonnes intentions dans ses paroles plus que dans ses actions, et dont le chef, M. Bouvier, a montré ce qu’il pourrait peut-être dans des circonstances moins ingrates. Il y a eu des interpellations, des intrigues, des agitations stériles, et tout cela a été couronné par ce qui caractérise essentiellement cette année expirante: les misères, les scandales qui ont préparé la crise présidentielle !

On n’aurait certes pu prévoir il y a un an, même il y a quelques mois, cette étrange et triste fin d’une présidence qui semblait garder