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exécutifs à un seul, et, ce pouvoir entier, on le remettait dans sa main. À la vérité, « pour ménager l’opinion républicaine[1], » on lui donnait deux adjoints avec le même titre que le sien ; mais ils n’étaient là que pour la montre, simples greffiers consultans, subalternes et serviteurs, dépourvus de tout droit, sauf celui de signer après lui et « d’inscrire leur nom au procès-verbal » de ses arrêtés ; seul il commandait ; « seul il avait voix délibérative : il nommait seul à toutes les places, » en sorte qu’ils étaient déjà des sujets, comme il était déjà le souverain.


V.

Restait à constituer un pouvoir législatif, qui fît contrepoids à ce pot. Voir exécutif si concentré et si fort. Dans les sociétés organisées et à peu près saines, on y parvient au moyen d’un parlement élu qui représente la volonté publique ; il la représente, parce qu’il en est la copie en petit, la réduction fidèle ; sa composition fait de lui le résumé loyal et proportionnel des diverses opinions régnantes. En ce cas, le triage électoral a opéré correctement ; un droit supérieur, le droit d’élire, a été respecté : en d’autres termes les passions en jeu n’ont pas été trop fortes ; c’est que les intérêts majeurs n’étaient pas trop divergens. — Par malheur, dans la France désagrégée et discordante, tous les intérêts majeurs étaient en conflit aigu ; c’est pourquoi les passions en jeu étaient furieuses ; elles ne respectaient aucun droit, et, moins que tout autre, le droit d’élire ; par suite, le triage électoral opérait à faux, et aucun parlement élu n’était ni ne pouvait être le représentant véritable de la volonté publique. Depuis 1791, l’élection violentée et désertée n’avait amené, sur les bancs de la législature, que des intrus sous le nom de mandataires. On les subissait, faute de mieux ; mais on n’avait pas confiance en eux, et on n’avait pas de déférence pour eux. On savait comment ils avaient été nommés et le peu que valait leur titre. Par inertie, peur ou dégoût, la très grande majorité des électeurs n’avait pas voté ; au scrutin, les votans s’étaient battus ; les plut-forts ou les moins scrupuleux avaient expulsé ou contraint les autres. Dans les trois dernières années du Directoire, souvent l’assemblée électorale se scindait en deux ; chaque fraction élisait son député et protestait contre l’élection de

  1. Correspondance de Napoléon Ier, XXX, 345, 346. (Mémoires.) « Les circonstances étaient telles qu’il fallait encore déguiser la magistrature unique du président. » — Cf. la Constitution du 2 frimaire an VIII, titre IV, articles 4 et 12.