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cherchent à l’exploiter, qui vivent en l’exploitant, témoigne en sa faveur. Il ne lui déplaît peut-être pas d’être trompé, et on croirait qu’il s’y prête dans la crainte de repousser une sollicitation justifiée. Que de fois, devinant que l’on abusait de sa bonté, le Parisien ne s’est-il pas dit : « Après tout, le pauvre diable en a peut-être besoin, et, s’il ment, tant pis pour lui. » À l’honneur de l’espèce humaine, on ce bas monde, il existe encore plus de bonté que de friponnerie ; ce qui permet aux filous de réussir. Je connais un vieux philosophe qui fuit les hommes pour pouvoir continuer d’aimer l’humanité ; comme on lui demandait le mot d’ordre pour vivre en paix avec soi-même, il répondit : « Rien n’est important que d’être dupe. »

C’est dans toutes les circonstances et par toutes ses catégories que la population parisienne fait acte secourable. On dirait que le bien en découle comme d’une source naturelle. Si l’aumône donnée sans discernement se perd sur des individus qui en rient et en font mauvais usage, elle est clairvoyante et touche à son but même lorsqu’elle s’adresse à ces grandes, à ces admirables institutions où j’ai conduit le lecteur. Ici la charité n’a point de défaillance et ne dévie jamais. Elle a saisi corps à corps la caducité, l’impotence, la débilité morale, la faiblesse physique ; elle ne recule devant aucun effort, devant aucun sacrifice, pour les soutenir, les relever et les rendre à l’espérance. Il y a émulation entre les sectes ; on dirait qu’elles se jalousent et cherchent à se surpasser dans l’expansion de leurs bienfaits. Toutes, selon sa foi, ses préceptes et sa conception de la vie future, soignent les corps dolens et parlent à l’âme immortelle. Je n’étonnerai personne en disant que l’élévation et la ferveur des croyances conduisent à d’ineffables grandeurs. On ne se ménage pas dans ces lieux de sélection ; la parole est convaincue, les largesses sont magnifiques, le don de soi-même est sans réserve. Cependant, au milieu des dévoûmens que j’ai eu la bonne fortune d’étudier, il en est qui, plus que d’autres, ont ému le profond de mon être. Lorsque ma pensée se reporte vers ces créatures d’abnégation que j’ai vues à l’œuvre de la vertu divine et en qui semble vibrer l’âme du bon Samaritain, c’est vous, Petites-Sœurs des pauvres, et c’est vous. Dames du Calvaire, qu’évoque mon souvenir attendri.


MAXIME DU CAMP.