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des Biban naguère, à l’égal d’une victoire. En fait, le résultat était considérable ; il était démontré qu’on pouvait désormais communiquer d’Alger à Oran autrement que par mer ; d’Alger à Constantine, la démonstration n’était pas aussi bien faite.

A la joie du succès s’ajoutait pour le général Bugeaud une satisfaction d’une autre sorte; le gentilhomme-campagnard ou, si l’on veut, le soldat-laboureur, s’était extasié à la vue du beau pays qu’il venait de parcourir. « Avant de passer outre, écrivait-il au maréchal Soult, je ne puis résister au désir de vous faire une courte description de cette belle vallée du Chélif, qui est, à mes yeux, cent fois préférable à la plaine de la Métidja. Au gué où nous passâmes le fleuve la première fois, la plaine s’agrandit de la vallée de la Mina et même de celle de l’Hillil, de telle sorte que l’œil embrasse sur ce point une surface plane de 15 lieues de longueur, de l’est à l’ouest, sur une largeur de 10 à 12 lieues. Les trois rivières, dirigées par l’art, pourraient arroser cette vaste surface, et les coteaux qui la bordent pourraient se couvrir de vignes, de mûriers, d’oliviers et d’arbres à fruit. La vallée du Chélif, en la remontant, a une largeur qui varie entre 3 et 4 lieues. La terre y est généralement très forte, et ce qui atteste sa fertilité, c’est que, malgré la culture barbare qui y est pratiquée, nous avons presque constamment voyagé à travers des champs d’orge et de froment pouvant produire de vingt à trente hectolitres par hectare. Les collines, pour la plupart, étaient couvertes de moissons plus riches encore, et si, sur quelques points, les roches les rendaient peu cultivables, nous nous sommes convaincus, par nos courses à l’intérieur, qu’il régnait derrière, presque partout, des vallons parallèles au Chélif où les cultures étaient plus abondantes que celles de la plaine. C’est vraiment une riche contrée. L’étendue des récoltes annonce qu’elle possède une nombreuse population, qui n’a été visible pour nous que dans la surprise des deux razzias que nous avons exécutées. Un bon gouvernement et par suite une bonne agriculture en feraient, dans un demi-siècle, l’un des plus beaux pays du monde. »

Le 1er juin, les deux colonnes se séparèrent. Pendant que le gouverneur se dirigerait vers Blida, en remontant aussi haut que possible la vallée du Chélif, Changarnier devait passer le fleuve et se rabattre sur la Métidja, en traversant le pays tourmenté des Beni-Menacer. La mission était difficile, mais elle convenait bien à celui de ses lieutenans que, dans ses jours de bonne humeur, le général Bugeaud appelait familièrement son montagnard.

Le 2, le montagnard se trouva donc engagé dans une région totalement inconnue, par des sentiers où l’on ne pouvait défiler qu’homme par homme, et souvent, quand toute trace de chemin disparaissait, dans le lit rocailleux des ruisseaux. Heureusement, comme les Kabyles