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leur avait-il dit, je vous reverrai bientôt prisonniers ou morts. » Pour Aouimeur, la prédiction était vérifiée; elle devait l’être bientôt après pour Ben-Rebah. qui fut pris au combat de Loha.

Le 23, on renversa ce qui avait été relevé à Takdemt. De là, poussant plus à l’est, La Moricière s’occupait à recevoir la soumission des Ouled-Chérif, quand il apprit qu’Abd-el-Kader, profitant de son absence, avait reparu tout à coup dans la plaine d’Eghris et entraîné à sa suite ceux des Hachem-Cheraga qui s’y étaient rétablis naguère. La colonne était à 35 lieues de Mascara; elle y revint à marches forcées, le 2 juin, et naturellement ne trouva plus personne. L’émir s’était retiré chez les Djafra. Avant de l’y poursuivre, La Moricière appela d’Oran 1,000 chevaux du maghzen de Moustafa-ben-Ismaïl, Douair, Sméla, Gharaba, laissa dans Mascara, outre la garnison permanente, une petite colonne mobile formée de 100 hommes d’infanterie, du bataillon Bosquet, des mekhalias du bey et de deux pièces de montagne ; puis, ces précautions prises en moins de trois jours, il repartit le 5, recueillit sur sa route les goums des auxiliaires, et continuant de marcher au sud, plus loin que Saida, il atteignit, le 9, au centre des Hauts-Plateaux, Aïn-Sfid, où il s’arrêta.

Fuyant devant lui, dans un pays nu, désolé, sans eau, Hachem et Djafra étaient acculés au Chott-el-Chergui, vaste lagune salée qui ni pour eux ni pour leurs troupeaux ne pouvait être d’aucune ressource. Il attendit trois jours; le quatrième, au matin, on vit un spectacle étrange : une longue caravane s’avançait, au son des hautbois et des tambourins, en avant les chameaux des chefs empanachés de plumes d’autruche, caparaçonnés de tapis aux vives couleurs, décorés de glands et de houppes assortis, sur leur dos les enfans et les femmes dissimulés derrière les tentures à raies alternées des atatirhes, à droite et à gauche les cavaliers bottés de maroquin rouge, la crosse du fusil sur la cuisse, en arrière la foule des serviteurs et les troupeaux.

C’étaient les Djafra qui, mourant de soif, venaient se rendre. En approchant, suivant l’usage, ils commencèrent la fantasia, et, suivant l’usage aussi, goums et spahis, flattés de cette politesse, se lancèrent au-devant d’eux pour la leur rendre. En un moment, tout eut disparu dans la poussière; par-dessus le bruyant concert des coups de fusil mêlés aux nasillemens des hautbois, au galop des chevaux, aux clameurs des guerriers, on entendait le youyou des femmes, pour qui cette soumission fastueuse n’était qu’une occasion de fête. La fête fut si belle que, parmi les spahis et les cavaliers des goums, on ne se rappelait pas avoir vu la pareille depuis vingt ans et plus. Les Djafra, couverts par l’aman, regagnèrent leurs ruisseaux et leurs pâturages. Quant aux Hachem, plus fiers, ils traversèrent