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met quelque intervalle dans leurs plaisirs : à cette occasion revient la belle-mère; elle rentre à point, — plutôt que sage-femme, entremetteuse! Bientôt, par une de ces échappées comme il s’en produit dans la vie quotidienne, l’homme aperçoit la trahison, l’infamie de sa compagne. Il la chasse de sa maison, il s’enfuit de son pays. Comment, alors, il se trouve dépravé lui-même, corrompu dans les moelles et jusque dans son cerveau d’artiste, c’est encore une partie de ce douloureux récit, et peut-être elle vaut la précédente. Tous les nerfs, toute la peau de cet homme se souviennent de cette femme ; loin d’elle, son imagination demeure inerte: à peine s’il peut vivre; il renonce à rien créer.

Une infidélité plus outrageuse, plus cruelle que les autres, lui fournit un prétexte : il arrive d’un trait chez la misérable, dans le palais qui est le temple de sa beauté vénale. Apparaît l’idole, rayonnant d’un nouvel éclat et comme assouplie par le vice, ointe par la luxure, exhalant sa senteur; elle approche, elle sourit à ce visiteur, dont sa chair, elle non plus, n’a pas oublié la chair : la colère de l’homme fond au feu du désir, l’ignominieuse folie le secoue des talons à la nuque et le jette en proie à cette admirable bête! Mais au milieu de la nuit, tandis qu’elle dort, il se reprend : si elle voit le jour, pense-t-il, ce jour éclairera ma honte, ma honte et le commencement d’un monstrueux servage ou bien d’une nouvelle torture! Et pour recouvrer sa liberté, pour retrouver aussi le calme de l’esprit et ressaisir la maîtrise de son imagination, après un baiser suprême, il la tue.

Navrante histoire, et de la première à la dernière ligne entièrement humaine!.. Ce n’est pas une fable inventée pour le service d’une thèse : au moins, il n’y paraît pas. Pierre Clemenceau est un homme, Iza est une femme; ni l’un ni l’autre ne sont les agens d’un moraliste. Aussi l’un n’est-il pas glorifié ni l’autre honnie plus que de raison : l’écrivain n’a point de colère contre celle-ci, point de faiblesse pour celui-là. Il dresse, au nom du meurtrier, l’inventaire des causes du meurtre et l’inventaire des causes de la faute ou des fautes qui ont provoqué cette violence : procès-verbal complet, mené jusqu’au bout avec clairvoyance, avec impartialité. On y voit comment le péché de la femme et le crime de l’homme furent nécessaires : plutôt qu’un justicier ou même qu’un assassin honorable, et qu’une suppliciée, il y a donc ici deux victimes. Hélas! c’est l’ordinaire vérité; mais, pour la faire éclater aux yeux de tous, ne faut-il pas une puissance peu ordinaire ? Une telle force, dans une telle entreprise, ne va guère sans la bonté : qui peut scruter ainsi et mettre au jour la conscience de l’homme et de la femme les prend tous les deux en pitié. Si l’écrivain laisse deviner dans cet ouvrage un sentiment personnel, c’est celui-là, de même que, s’il montre un souci, perpétuellement, c’est celui de rester sincère. Voilà, en fin de compte, la double vertu de ce livre et par laquelle,