Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 85.djvu/468

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Disons, sans plus attendre, que ce type merveilleux a trouvé une comédienne pour l’incarner à merveille, Mlle Tessandier. Sans indiscret empiétement, par le seul avantage d’un talent sincère, elle a pris le pas sur Mlle Cerny, qui prête cependant à Iza une mièvrerie bien séduisante; elle n’a laissé qu’à peine sa juste part de succès à M. Raphaël Duflos, qui donne à Clemenceau, comme il convenait, sa tenue sévère, son ardeur virile et sa brusque énergie.

La toile tombe sur ce misérable intérieur (celui de la comtesse), au moment où le héros, féru d’amour en moins de vingt-quatre heures obtient la main d’Iza. L’entr’acte qui suit, à mon humble avis, est trop intéressant: il est rempli de trop de choses, et de choses trop considérables; la lune de miel y tient tout entière. Quand le rideau se relève, Iza, qui s’annonçait simplement comme une gamine charmante et mal élevée, est déjà pervertie. Sa noirceur nous surprend; l’ami qui lui reproche ses méfaits nous étonne par sa grossièreté; sa belle-mère, qui meurt de chagrin, n’oublie rien, dans une agonie un peu longue, sinon de nous expliquer ce changement. — Restent deux tableaux. C’est dans l’avant-dernier que la colère de Clemenceau éclate : après ce coup de foudre, la femme gît d’un côté, la belle-mère de l’autre, à demi mortes d’épouvante; si quelqu’un avait sommeillé tout à l’heure, pendant les prières des agonisans, il serait réveillé de la bonne façon.

Mais le dernier, ah ! le dernier, il mériterait à lui seul qu’on veillât pour l’attendre. Voici Pierre Clemenceau revenu de son exil volontaire, admis en présence d’Iza, dans ce luxueux hôtel que paie la fantaisie d’un roi. Frémissans comme deux fauves dans la saison d’amour, le mâle et la femelle s’affrontent : les yeux luisans, le souffle court, ils se reconnaissent. Elle sent que son pouvoir sur ce malheureux n’est pas encore aboli ; émue elle-même, elle sent qu’elle peut encore user de lui pour son plaisir. Elle congédie les importuns, même sa mère : elle propose à l’époux, qui ne sera plus qu’un amant parmi les autres, le pacte de luxure. Si ce dialogue n’est pas de M. Dumas, à la bonne heure! c’est qu’un autre Dumas nous est né. Il a, celui-ci, la réplique aussi nette, le discours aussi rapide que l’ancien; et, pour finir, il a fait une trouvaille, celle d’un mot qui, dans son genre, vaut le « Qui te l’a dit? » d’Hermione : ils ne sont rien, ces mots-là, hors de leur place; dans le drame, ils sont le signe d’une révolution d’âme chez le personnage qui les prononce ou le signal d’une révolution chez celui qui les écoute. Clemenceau vient d’accepter l’infamie offerte; en se retirant, il jette ces paroles : « À ce soir! » Iza, prise à l’improviste, étourdiment, riposte : « Non, pas ce soir, je ne peux pas !.. » L’éclair de cette petite phrase dessille les yeux de l’homme, illumine à ses pieds l’abîme où il roule; par un effort désespéré, il s’arrête... Il saisit un couteau,.. il frappe au cœur; à peine l’arme enfoncée, il cueille le dernier soupir sur ces lèvres trop aimées, puis il laisse tomber le