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ce scrutin sénatorial du 5 janvier, qui est la plus récente manifestation du pays. Ce n’est point sans doute qu’il y ait un de ces mouvemens d’opinion qui ressemblent à des coups de théâtre, et qu’il se soit produit des changemens bien caractérisés dans la composition du sénat. Par le fait le sénat reste à peu près ce qu’il était, rien n’est sensiblement changé dans la proportion des partis au Luxembourg. Les conservateurs ont été évincés dans quelques départemens, ils ont été plus heureux dans d’autres, et tout compensé, leur succès apparent, officiel, se réduit à trois sièges conquis. Le succès est assurément des plus modestes, on ne peut pas en triompher. Avoir de plus près ce dernier scrutin cependant il y a une particularité qui est certainement significative. On n’a qu’à suivre ces élections, assez souvent il n’y a qu’une petite différence entre les candidats républicains qui ont réussi et les candidats conservateurs qui ont échoué. Même dans des départemens comme la Loire, la Haute-Loire, qui ont passé jusqu’ici pour assez républicain la différence est de 447 à 480 voix à Saint-Etienne, de 295 à 316 voix au Puy. Dans la Lozère, la différence est de 183 à 207 voix; dans le Nord. département plus populeux, elle est de 1,119 à 1,165 voix. Les élus sont toujours élus assurément, le vote a décidé; le pays n’est pas moins sensiblement partagé en deux camps presque égaux, et ce phénomène du scrutin sénatorial prend d’autant plus de sens quand on le rapproche de la plupart des élections de toute sorte qui se sont succédé depuis deux ans. Qu’il s’agisse des élections parlementaires, des élections des conseil-généraux, même des élections municipales, presque partout, assez souvent du moins, les concurrens des opinions opposées se serrent de près; ils n’ont été séparés quelquefois que par 1,000 ou 2,000 voix sur 50,000 et 60.000 votans dans des élections législatives c’est le mouvement de 1885 qui persiste sans faiblir. Et qu’on remarque de plus que là où les républicains gardent l’avantage. Ils ne réussissent souvent qu’en désavouant toutes les exagérations, en atténuant leur programmes, en se confondant presque parfois avec les conservateurs..

Qu’en faut-il conclure? C’est que le pays ébranlé et déçu tend de plus en plus à se partager; c’est qu’en dehors de toute question de régime il est évidemment las, excédé d’une politique qui ne lui a donné, depuis dix ans, que des finances compromises, une administration désorganisée, une magistrature diminuée, des crises ministérielles, des menaces de guerre civile à Paris, l’anarchie dans les pouvoirs, sans compter les scandales. Il demande autre chose; il demande qu’avec une présidence nouvelle, on cesse de le leurrer de programmes chimériques et de concentrations radicales, qu’on commence à s’occuper de ses affaires, de ses intérêts les plus pressans, de tout ce qui peut un assurer le travail et la paix, — la paix morale aussi bien que la paix extérieure !