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que, si le prince tenait à revenir à Paris, il n’avait qu’à le dire, il n’avait qu’à retirer la lettre qu’il a écrite pour protester contre sa radiation des cadres de l’armée, puis encore à faire acte de soumission ou de résignation à la république, et qu’après cela on pourrait voir ce qui serait possible pour lui être agréable. Étrange manière de comprendre le rôle des gouvernemens ! Ceux qui traitent ainsi les choses les plus sérieuses ne s’aperçoivent pas que, si M. le duc d’Aumale était un autre homme, une lettre de plus ou de moins ne serait pas une affaire, et qu’étant ce qu’il est, c’est son caractère qui est la première garantie.

Ce que pense le prince des institutions du pays, il n’a probablement chargé personne de le dire; mais il est un fait plus éloquent, plus significatif que toutes les paroles qu’on pourrait lui prêter ou qu’on pourrait lui demander, c’est la conduite qu’il a suivie depuis qu’il est rentré en France, et dont il n’a pas même dévié depuis qu’il a été frappé d’un nouvel exil par un ressentiment de parti. Est-ce que depuis dix-sept ans M. le duc d’Aumale a demandé quelles étaient les institutions régnantes pour servir le pays? Est-ce qu’il ne s’est pas montré le plus dévoué, le plus silencieux des soldats, toujours prêt à remplir son devoir, toujours disposé aussi à soutenir les chefs de la jeune armée, même M. le général Boulanger, qui ne s’en est plus souvenu, et qui n’a certes rien gagné à tout oublier ? M. le duc d’Aumale a exercé les plus hautes charges militaires au nom du gouvernement de la France; il a été le premier commandant en chef, l’habile organisateur d’un des corps de frontière; il a été inspecteur-général, membre du conseil supérieur de la guerre. Lorsque, sans aller jusqu’à l’atteindre dans son grade, on l’a mis sans raison, par un caprice de parti, en disponibilité, il s’est soumis sans rien dire. Il a vécu paisible et respecté, honorant les lettres comme il honorait l’armée, donnant à tous ceux qui l’entouraient l’exemple de la plus sévère réserve, se considérant toujours comme un soldat qui n’avait pas le droit de se mêler de politique. Il n’a laissé qu’une fois échapper une généreuse protestation, le jour où, par une gratuite violence, on a brisé le dernier lien qui l’attachait à l’armée, au service public. Que parle-t-on après cela de rétractation ou de soumission pour rentrer en grâce, pour obtenir tout au moins la tolérance? M. le duc d’Aumale n’a rien à rétracter dans sa carrière, et il ne s’agit point on vérité de lui faire plaisir, quoiqu’on put se permettre ce luxe avec le donateur de Chantilly. C’est pour lui-même, pour accomplir d’abord un acte de justice, et ensuite après tout dans son propre intérêt, que le gouvernement devrait tenir à révoquer ce décret d’exil, qui n’est qu’une inutile iniquité. Ceux qui se croient les conseillers privilégiés de la république ne voient pas que le meilleur moyen de la servir c’est de montrer qu’elle peut être à la fois