que, chez lui, il se sente chez lui, à perpétuité, à l’abri de toute intrusion, protégé par le code et les tribunaux, non-seulement contre ses voisins;, mais aussi contre l’administration elle- même ; que, dans ce préau nettement circonscrit, il soit libre de tourner et de s’ébattre à sa fantaisie, libre de brouter à discrétion, et, s’il le veut, de manger à lui seul toute son herbe. Il n’est pas nécessaire que le préau soit très large : la plupart des hommes vivent les yeux fichés en terre ; très peu élèvent leurs regards au-delà d’un cercle étroit; on ne les gêne guère en les y parquant; l’égoïsme et l’urgence de leurs besoins quotidiens sont déjà pour eux des barrières toutes faites : dans cette enceinte naturelle, ils demandent à paître avec sécurité, rien de plus. Donnons-leur cette assurance, et laissons-leur ce bien-être. — Quant aux autres, en petit nombre, plus ou moins imaginatifs, énergiques et ardens, voici pour eux, hors de l’enceinte, une issue ménagée exprès : à leur ambition, à leur amour-propre, les nouveaux cadres administratifs et militaires offrent un débouché qui, dès le premier pas, va s’élargissant, et tout de suite, à l’horizon, le premier consul leur montre des perspectives infinies[1]. Selon un mot qu’on lui attribue, désormais « la carrière est ouverte aux talens, » et, désormais, tous ces talens, recueillis dans le courant central, précipités en avant par l’émulation, viendront grossir de leur afflux l’immensité de la puissance publique.
- ↑ Rœderer, Œuvres complètes, III, 339. (Paroles du premier consul, 21 octobre 1800) ; « Maintenant, tout grade est une récompense offerte à tout bon service : grand avantage de l’égalité qui a fait, de 20,000 sous-lieutenances, jadis inutiles à l’émulation, la légitime ambition et l’honorable récompense de 400,000 soldats. » — Lafayette, Mémoires, V, 350 : « Sous Napoléon, les soldats disaient : Il a passé roi à Naples, en Hollande, en Suède, en Espagne, comme autrefois on disait des mêmes hommes : il a passé sergent dans telle compagnie. »