Il lui fallait donc retourner au christianisme. C’est dans cette pensée qu’il se mit à lire les Écritures ; mais, dès les premières pages, il s’arrêta : pour un homme nourri de rhétorique comme lui, c’était une lecture trop rebutante. Quand on a été tout à fait charmé des littératures classiques, il arrive qu’on ne peut plus comprendre qu’elles. Le moule dans lequel elles jettent la pensée paraît si simple, si naturel, qu’il semble impossible qu’elle s’exprime autrement. On se laisse prendre à ces larges périodes si savamment construites, avec leurs incises qui se balancent, à ces développemens réguliers où les phrases s’enchaînent entre elles, où une idée mène à l’autre, et l’on finit par croire que le bon sens et la raison ne peuvent pas employer d’autre langue. Il est naturel que des gens habitués dès l’enfance à cette façon d’écrire aient eu peine à souffrir ce qu’il y a ait de brusque, de heurté, d’incohérent dans les littératures orientales. En face d’œuvres extraordinaires, inégales, démesurées, ces élèves des rhéteurs, qui tenaient surtout à la proportion et à la mesure, se trouvaient tout dépaysés. Ajoutons que la forme en était encore plus mauvaise que le fond n’en semblait étrange. Les premiers qui, longtemps avant saint Jérôme, traduisirent les livres saints en latin, n’étaient pas des écrivains de profession ; c’étaient des chrétiens scrupuleux, qui ne cherchaient d’autre mérite que d’être des interprètes fidèles. Préoccupés surtout de calquer leur version sur le texte, ils créaient des mots nouveaux, ils inventaient des tours bizarres, ils torturaient sans pitié la vieille langue pour qu’elle pût s’accommoder au génie d’un idiome étranger. Qu’on se figure ce que devait souffrir un admirateur de Virgile, un élève de Cicéron, jeté brusquement au milieu de cette barbarie ; Augustin en fut révolté, et laissant là des ouvrages qui blessaient toutes les délicatesses de son goût, il s’empressa de reprendre ses auteurs chéris et de revenir à ses anciennes études.
Mais il n’y revint pas tout à fait comme il était parti, et de cet ébranlement qu’il avait ressenti à la lecture de l’Hortensius, il lui resta quelque chose. D’abord il avait fait connaissance avec la philosophie antique. Elle était en ce moment fort négligée dans les écoles, au point qu’Augustin, pour l’avoir étudiée avec quelque soin, passa pour un prodige. Cette étude lui rendit de très grands services ; elle en fit, dans les controverses théologiques, un dialecticien si terrible que ses rivaux refusaient de combattre avec lui, et qu’il lui était plus difficile de les joindre que de les vaincre. Elle éveilla son esprit sur des questions importantes, lui fournit des solutions nouvelles et lui permit souvent de faire profiter la théologie chrétienne des découvertes des anciens philosophes. Mais en même temps qu’il s’éprenait de la philosophie, il s’était aperçu qu’elle ne pouvait pas lui