J’aurais pu l’indiquer des passages analogues de Théocrite, d’Homère et d’Orphée ; j’aurais pu te renvoyer aux comiques, aux tragiques, aux historiens grecs ; mais je sais de longue date que tu n’as même pu lire une lettre écrite en grec par Pudentilla. Je ne te citerai donc plus qu’un seul auteur, et encore est-ce un poète latin; ceux qui ont lu Lévius (un poète du temps de Sylla), reconnaîtront ces vers :
On cherche partout des philtres puissans :
Herbes, roitelets, ongles et rubans,
Pierre d’antipathe aux facettes bleues,
Pour servir d’appât lézards à deux queues,
Racines, bourgeons et tiges de lin,
Et tumeur coupée au nez d’un poulain.
Voilà les ingrédiens magiques que les accusateurs d’Apulée auraient dû signaler dans son laboratoire, s’ils avaient eu seulement
la moindre érudition ; ils auraient ainsi donné à leurs calomnies
un air de vraisemblance. Mais des poissons ! à quoi peuvent-ils être
bons, sinon à se faire cuire pour un banquet? Jamais certainement
poisson ne servit à des magiciens ; et la preuve, c’est qu’un jour
Pythagore, aux environs de Métaponte, acheta à des pêcheurs leur
coup de filet, tout bonnement pour le plaisir de rejeter à l’eau les
malheureux poissons. Or Pythagore, qui avait été disciple de Zoroastre, s’y connaissait en magie ; il n’eût pas perdu de gaîté de
cœur une si bonne aubaine. Homère aussi s’est montré expert dans
les sciences occultes : eh bien ! quand Protée change de figure, quand
Ulysse creuse sa fosse, quand Éole gonfle ses soufflets, quand Hélène
prépare sa coupe, ou Circé son breuvage, ou Vénus sa ceinture, est-il
jamais question de la mer et des poissons? Mais les nigauds d’OEa
ont changé tout cela : « Vous êtes de mémoire d’homme, conclut
l’orateur, les seuls de votre espèce. Jusqu’ici, on attribuait la propriété magique aux herbes, aux racines, aux bourgeons, aux pierres
précieuses. Mais voilà que vous bouleversez la nature. Vous faites
descendre la magie du haut des montagnes dans la mer pour l’enfermer au ventre des poissons. Jusqu’ici, dans leurs cérémonies
mystérieuses, les magiciens invoquaient Mercure comme intermédiaire des enchantemens ; Vénus, comme séductrice des âmes; la
lune, comme complice des opérations nocturnes ; Trivia, comme
reine des ombres. Mais grâce à votre liturgie nouvelle, on verra
désormais Neptune, Salacie, Portune et tout le chœur des Néréides,
au lieu de soulever des orages sur la mer, en soulever dans les
âmes. » Dans cette singulière invective d’Apulée, on sent le mépris