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ajustent avec leurs peignes d’ivoire les cheveux de la déesse, qui se regarde dans de grands miroirs accrochés au dos des dévotes. Autour d’elles, on agite des lanternes, des torches, des cierges; on joue du chalumeau et de la flûte. Des jeunes gens d’élite, habillés de blanc, psalmodient les hymnes sacrés. Des huissiers écartent les curieux devant la troupe sainte des initiés, éblouissans sous leurs robes de lin ; sur les cheveux parfumés des femmes flotte un voile transparent ; sur la tête rasée et le crâne luisant des hommes s’agitent des sistres d’airain, d’argent ou d’or. Enfin paraissent les prêtres, dont la robe blanche est serrée à la taille et tombe jusqu’aux talons ; leurs mains soutiennent les symboles divins, une lampe en forme de gondole, de petits autels, des rameaux d’or, le caducée de Mercure, un bras dont la main ouverte figure la justice, un vase en forme de mamelle. Les dieux mêmes ont voulu honorer de leur présence la fête de leur souveraine; à la suite de la reine Isis, ils daignent se laisser transporter sur les épaules des hommes. Voici Mercure avec une tête de chien, blanche d’un côté, noire de l’autre; puis la vache divine, dressée sur ses pieds de derrière ; enfin l’urne d’or, couverte d’hiéroglyphes, terminée par un long bec, ornée d’une anse ronde sur laquelle se dresse un aspic au cou gonflé. Et lentement, lentement, à travers la plaine, se déroule la longue procession de la déesse qui commande au destin. Apulée, comme le héros de son roman, va lui vouer un culte éternel.

Lucius comprend que son heure est venue. Il dévore une couronne de roses et recouvre la forme humaine. Aussitôt le grand-prêtre lui fait revêtir une robe de lin : « Que les impies voient, dit-il : qu’ils voient, et qu’ils reconnaissent leur erreur. » Puis le cortège arrive au port de Genchrées, où l’on bénit solennellement un vaisseau. On revient au temple. Le secrétaire de la confrérie des Pastophores monte en chaire, prend un gros livre et débite à haute voix des prières pour l’empereur, pour le sénat, pour les chevaliers, pour tout le peuple romain et la prospérité de la marine. Il termine en prononçant la formule d’usage : « Que les peuples se retirent. » Mais Lucius, qui dans ce récit représente Apulée, reste dans le parvis; il loue une loge dans l’enceinte sacrée, et par les prières, le jeûne et la méditation, il se prépare à la grande initiation. Il a plusieurs visions de la déesse, est admis par faveur au saint office. Enfin le grand-prêtre Mithras est chargé de l’initier, « parce que tous deux étaient nés sous le même astre. » Le pontife ouvre les livres sacrés, vrai grimoire comme ceux des magiciens. Après le bain qui purifie, il donne au fidèle des instructions que la voix humaine ne peut rendre et lui ordonne dix jours de