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Il tient donc enfin l’occasion attendue depuis si longtemps. Il va pouvoir observer de près les mystères de la magie. Par les fentes de la porte, il regarde avidement l’atelier et tous les mouvemens de la sorcière. Dès qu’elle s’est envolée, il se précipite sur la table aux onguens et prie la servante de le métamorphoser à son tour en oiseau. Fotis se trompe, et voilà comment le héros du roman est condamné à braire ; il ne dépouillera sa tête d’âne qu’après mille aventures. Mais que d’enchanteurs le baudet va encore rencontrer sur la route ! Dans une caverne de brigands, il entend l’histoire merveilleuse de Psyché ; la jeune fille est transportée par les vents, servie par des personnages invisibles dans son palais magique; après la fuite de l’Amour, elle est soumise par Vénus à de cruelles épreuves, dont elle triomphe par une série de prodiges. Plus loin, voici un vieillard qui à volonté se rend invisible et attire les voyageurs dans la gueule d’un dragon. Ailleurs, la femme d’un meunier appelle à son aide une sorcière pour se débarrasser de son mari. La vieille évoque le spectre d’une jeune fille, qui à midi se présente au moulin, met la main sur l’épaule de l’homme, fait mine d’avoir un secret à lui confier et l’entraîne dans une chambre. On s’inquiète de ne pas voir redescendre le maître; on monte, on enfonce la porte : la fille a disparu, mais on trouve le meunier pendu.

Apulée croyait-il à toutes ces bonnes histoires, dont il aimait à égayer ses ouvrages ? On ne sait trop. Les anciens ne se posaient jamais nettement ces sortes de questions : comme ils admettaient le surnaturel, rien pour eux ne marquait la limite entre le possible et l’impossible. Il est certain qu’Apulée se complaît dans les merveilleux récits des légendes et des miracles. Ses longs voyages aux pays mystérieux de l’Orient avaient encore exalté sa folle imagination africaine. Entraîné à la dérive par sa maladive curiosité, initié à toutes les religions secrètes, emportant partout avec lui quelque talisman, convaincu de l’existence des démons, il a toujours été captivé par les problèmes de la magie. Il en parle dans tous ses ouvrages, et il faut des invraisemblances démesurées, un charlatanisme bien avéré pour appeler en ce cas le sourire sur les lèvres. Il est comme beaucoup de nos contemporains qui, tout en raillant les tables tournantes, les font souvent tourner très sérieusement, pour voir; on se moque pour prévenir la moquerie des autres. Dans l’antiquité comme au moyen âge, on attendait des sorciers et des astrologues ce que ne pouvaient donner les prêtres des religions officielles ; on demandait aux diables l’explication des phénomènes sur lesquels Dieu et l’église restaient muets. Apulée a poussé la dévotion et la curiosité mystique jusqu’aux extrêmes limites. Il admet dans ses livres le pouvoir surnaturel de la magie. On ne sait s’il a tenté