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montre dans un des songes les plus délicieux qu’ait jamais rêvés un musicien-poète. Cette scène du sommeil est à la fois surnaturelle et naturelle. Sans doute, des génies et des fées bercent Faust ; mais dans cette musique il y a encore autre chose, il y a la secrète influence de la nature véritable et vivante, l’effluve mystérieux des herbes et des fleurs, le trouble dont frissonne parfois la terre, et l’homme avec elle, je ne sais quelle langueur qui, de la création, pénètre en nous et s’insinue par les souffles et les parfums.

Le repos que Faust, éveillé tout à l’heure, cherchait en vain, ce repos va lui venir en rêve, et son âme endormie sera moins rebelle aux influences bienfaisantes qui descendront sur lui. Il y a quelque chose d’auguste dans le spectacle de l’homme serré contre la terre maternelle, qui embaume, qui enchante son enfant triste et fatigué. L’apaisement de l’homme par la nature, la demi-confusion de l’un avec l’autre, l’évanouissement de la créature dans la création, tout ce panthéisme est de Goethe, et de Goethe admirablement rendu par Berlioz. Mais voici qui est de Berlioz seul, et qui n’est pas moins admirable ; voici un élément humain sans lequel la suprême beauté manquerait à ce paysage.

Quand l’orchestre, tout à l’heure encore ivre de la bruyante ivresse allemande, s’est apaisé, un trait rapide emporte Faust et son compagnon. Parvenus sur les hauteurs, les violens à l’aigu frémissent ; mais peu à peu des trilles fins et serrés descendent, et doucement se dessine une ritournelle adorable. Le mouvement s’est ralenti, le chant instrumental traverse des modulations qui se fondent les unes dans les autres, et des cuivres solennels, trombones et cors, étalent leurs notes de velours. Méphistophélès à mi-voix chante l’air des roses, et le sentiment de cet air, Goethe ne l’a pas trouvé. Par une matinée de printemps, au bord d’un grand fleuve d’Allemagne, sur un lit de fleurs, le démon a couché Faust, son Faust bien-aimé, et ce mot seul du texte, que toute la musique confirme et paraphrase. révèle chez Méphistophélès une sorte de tendresse, au moins de compassion, pour l’humanité. Un instant, le diable cesse de rire. Il se penche avec émotion sur le front qu’il a rajeuni, sur la créature qui s’est livrée à lui, et il a pitié ; il chante pour appeler le sommeil et les songes heureux. Tout cet air est plein d’un amour, d’une bonté plus qu’humaine, presque divine ; sentiment étrange, mais puissant, qui plane sur la suave cantilène, et qui fait d’elle la plus noble berceuse qu’un père ait jamais chantée au chevet de son enfant.

Voyez ici la différence entre Berlioz et Mendelssohn. Dans le Songe d’une nuit d’été, l’on dort aussi sur le gazon ; les elfes et les sylphes voltigent aussi sur des paupières closes. Comment Mendelssohn cherche-t-il à rendre ces légers bruits d’ailes, ces murmures