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jouer au besoin une contredanse ou une valse, se trouve par cela même dans un état d’infériorité que sa mère doit lui épargner.

Cet exercice, du reste, n’a d’inconvéniens que pour les jeunes filles qui ne sentent pas la musique, et qu’on oblige à s’asseoir pendant plusieurs heures devant un clavier, ou pour celles qui la sentent trop vivement, et dont elle exalte le système nerveux d’une façon déplorable. Celles-là sont de véritables sensitives. Elles ont les frissonnemens, les langueurs, les ravissemens, les exaltations des véritables artistes ; mais elles s’usent comme elles par des émotions qui les laissent énervées, tremblantes, le cœur palpitant, la respiration haletante. « Il faut, comme Ta dit Fonssagrives, veiller de près sur ces organisations rares, il est vrai, malheureusement pour l’art, mais heureusement pour l’hygiène, et les priver de sensations achetées aussi cher. » La grande majorité des élèves se tient dans une zone intermédiaire. L’étude du piano leur procure une distraction utile et des jouissances qu’elles peuvent savourer sans danger. Ce que les mères doivent éviter, ce sont les exercices interminables auxquels il faut se livrer, pendant quatre ou cinq heures par jour, lorsqu’on veut acquérir un mécanisme irréprochable. Ce talent si difficile à acquérir ne profite guère, car il ne s’entretient que par le travail, et la plupart des jeunes femmes ne le cultivent plus à partir de leur premier enfant. Quant aux mères sans fortune qui s’imposent des sacrifices pour faire de leurs filles d’habiles pianistes, afin de leur donner un moyen d’existence, c’est une illusion dispendieuse qu’il ne faut pas encourager. Il y a autant de maîtresses de piano que d’institutrices, et les premiers prix du Conservatoire trouvent à peine un nombre de leçons suffisant pour les mettre à l’abri du besoin.

La musique vocale ne demande pas autant de travail et constitue, de plus, un exercice salutaire lorsqu’on ne fatigue pas la voix outre mesure et qu’on ne la force pas à sortir de ses limites naturelles. La plupart des jeunes filles arrivent à chanter d’une manière agréable. C’est un talent plus sympathique que l’autre et qui n’exige pas la même perfection.

Le dessin, sans tenir autant de place dans un programme d’éducation bien compris, en fait cependant partie. Il est bon qu’une jeune fille sache tenir un crayon, ne fût-ce que pour tracer ses patrons de broderie et pour rapporter un souvenir de ses voyages. Il est bon qu’elle ait en peinture des connaissances suffisantes pour apprécier les œuvres des maîtres et en dire au besoin son avis. Enfin, il en est un très petit nombre qui, grâce à des dispositions particulières, peuvent devenir des artistes de talent. On comprend que, pour celles-là, les parens n’épargnent pas les sacrifices; mais