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de telles scènes. Il ne les craignait pas ; souvent même, il les cherchait. Ce sanglier se plaisait à braver la meute ; aiguisant ses fortes défenses, il avait décousu plus d’un chien.

On peut trouver quelque douceur à braver les colères de ses ennemis, mais il est toujours cruel d’être abandonné par ses amis. Léon Faucher avait connu ce chagrin, deux ans auparavant, lorsqu’il était ministre de l’intérieur dans le premier cabinet présidentiel. À la veille des élections de l’assemblée législative, il avait adressé à ses préfets une dépêche télégraphique qui fut affichée et qui causa quelque émotion. Son procédé parut indiscret, et, dans une des dernières séances de la Constituante, un vote de blâme fut proposé contre lui : 519 voix contre 5 condamnèrent la dépêche, près de 400 députés s’abstinrent, et il donna sa démission. Il écrivait à un ami : « Ma politique a été déjouée par la trahison et par la faiblesse. J’ai eu beau rétablir l’ordre, reconstituer une administration, relever l’autorité, de jouer les complots, la pusillanimité des uns, l’impuissance ou l’envie des autres a fait plus que contre-poids… Je ne cache à personne que, déterminé à résister à une censure partie de la Montagne, je ne voulais pas rester après l’abandon et l’ingratitude des modérés, après la trahison de quelques-uns. Ceux qui avaient cru apaiser les montagnards en me sacrifiant doivent être bien détrompés. Le président de la république, auquel je me suis sincèrement attaché, a fait les plus vives instances pour me retenir. Mais je ne rentrerai pas aux affaires, si je dois y rentrer, avant que la prochaine assemblée ait réparé le vote que je viens d’essuyer. » Cette réparation un fut accordée, et il pouvait écrire quelques jours plus tard : « Le succès a été complet, je suis vengé et je pars… Ma santé a résisté aux fatigues de ces cinq mois de gouvernement ; mais la tribune abordée tous les jours en présence d’une assemblée hostile a brisé ma voix. J’ai contracté une affection du larynx qui ne peut être radicalement guérie que par l’usage des Eaux-Bonnes. »

Il ne rentra aux affaires que le 10 avril 1851. Une autre amertume, une de ces douleurs dont on ne se console pas, lui était réservée. Il devait découvrir que ce prince-président, à qui il s’était sincèrement attaché avait abusé de sa candeur, s’était joué de lui. que toutes les peines qu’il s’était données pour de jouer les complots, pour rétablir l’ordre et l’autorité, n’avaient servi qu’à préparer un coup d’état, auquel il avait toujours refusé de croire. On pouvait l’accuser d’avoir été le complice involontaire d’un événement qu’il exécrait, et sa destinée le condamnait à faire pénitence de sa vertu.

La carrière politique de cet homme distingué, mort à cinquante-deux ans ne fut pas heureuse et fut bien courte. La révolution de février l’avait mis en vue et poussé au premier plan. Il fut ministre cinq mois en 1849, six mois en 1851, et dans l’intervalle il joua comme