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de M. Duval; mais il aurait fallu que M. Duval eût démêlé plus clairement, d’abord, ce qu’il y a dans Hugo de plus caractéristique, et qu’il se fût rendu compte, ensuite, qu’en faisant un Dictionnaire des métaphores, il touchait l’une des plus difficiles questions de l’histoire naturelle et de la métaphysique du langage. Alors, puisqu’il fallait choisir, et se résigner à n’être pas complet, parmi tant de, métaphores ou de comparaisons, tant d’images ou de symboles, il n’eût composé son Dictionnaire que de celles et de ceux qui pouvaient le mieux mettre en lumière le génie propre d’Hugo, et la révolution qu’un homme a opérée dans la langue et dans la poésie. Puis, à l’ordre alphabétique, toujours commode, mais toujours confus, on en eût substitué un autre, que je ne connais point, que je ne saurais donc indiquer, qui resterait à déterminer. Et ainsi ce Dictionnaire, dont l’idée, nous le répétons, est tout à fait heureuse, mais n’a pas été mûrie suffisamment, eût lui-même été le livre dont il n’est que l’ébauche encore incertaine ou le fondement désormais utile et même indispensable, mais trop fragile encore et trop mal assuré.

Comment s’y prendrait-on pour le refaire? Sans parler de tant de critiques qui, depuis Sainte-Beuve, il y a plus d’un demi-siècle, jusqu’à M. Alexandre Dumas, l’an dernier, ont tous dit de Victor Hugo quelque chose de juste et qui vaudrait la peine d’être redit, on pourrait consulter Victor Hugo sur lui-même, dans ses vers et dans sa prose, La première pièce des Rayons et les Ombres, que nous avons rappelée plus haut, intitulée Fonction du poète, et l’une des dernières pièces des Contemplations, intitulée les Mages, développement du même thème à quinze ou vingt ans de distance, contiennent déjà de précieux aveux. Il est instructif, en passant, d’y noter, si je puis ainsi dire, le progrès ou le changement de la vision du poète, avant l’exil et après l’exil, avant la mer et après la mer, et comment de « mystique, » en 1839, elle est devenue « apocalyptique » en 1856. Mais, depuis lors encore, en 1864, sous le nom d’Eschyle, dans son William Shakspeare, Hugo s’est représenté lui-même tel qu’il se voyait, et deux ans plus tard, en 1866, dans les Travailleurs de la mer, il a défini, dans la personne de son Gilliatt, tout un côté de son imagination : « L’immense dans Eschyle est une volonté. C’est aussi un tempérament... Ses métaphores sont énormes... Ses effets tragiques ressemblent à des voies de fait sur les spectateurs... Sa grâce même a quelque chose de cyclopéen. » C’est l’idéal d’Hugo que cet Eschyle, ou plutôt c’en est le portrait par lui-même. Et ce Gilliatt, qu’en direz-vous? à qui «l’inconnu faisait parfois des surprises? » qui, « par une brusque déchirure de l’ombre, voyait tout à coup l’invisible? » victime, dans sa solitude, de « ce tremblement d’idées qui dilate le docteur en voyant ou le poète en prophète ? » Il me semble, du moins, que de ces aveux et de quelques autres on n’a pas tiré tout le parti que l’on pourrait, et qu’en les comparant, les éclaircissant, les vérifiant, on y retrouverait,