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jamais toute la question, et si les républicains modérés ne comprennent pas ce qu’ils ont à faire dans cette situation, c’est qu’une fois de plus par faiblesse, par crainte ou par une complicité inavouée, ils auront mis un intérêt de parti au-dessus des intérêts les plus évidens de la France.

On pourrait peut-être dire aujourd’hui, non sans quelque apparence de raison, qu’il en est des affaires de l’Europe comme des affaires de la France. On sent bien, on voit trop que tout est incertain, que la situation du continent reste profondément troublée, que les crises les plus graves, les plus décisives, peuvent naître à tout instant d’une circonstance soudaine, des incidens qui se succèdent, ou, si l’on veut, de l’excès du mal; on ne sait pas quelle sera la fin de cette confusion redoutable qui règne partout à l’heure où nous sommes, ce qui remettra l’ordre dans les relations, la paix dans les esprits, comment on échappera aux catastrophes dont tout le monde désavoue la responsabilité en s’y préparant comme si elles devaient éclater demain. On rapporte que le plus grand meneur des événemens, M. de Bismarck, aurait dit récemment qu’il croyait à la paix pour plusieurs années, au moins pour cette année, mais qu’après tout, il avait la même croyance au printemps de 1870, et que les choses avaient marché différemment. C’est une manière de ne pas se tromper, ou plutôt peut-être de se moquer des indiscrets.

Ce qui est certain, c’est qu’il n’y eut jamais une situation plus précaire, que l’Europe est réduite à vivre au jour le jour, passant alternativement de la crainte à la confiance, ou de la confiance à la crainte, sans savoir au juste ce qui l’attend, ce qui résultera du conflit de toutes les politiques. Où en sont aujourd’hui les affaires du Nord? quelle est exactement la vérité sur les relations de la Russie et de l’Autriche, sur les dispositions des cabinets, sur les arméniens qui se sont multipliés depuis quelques semaines aux frontières de Pologne? Évidemment, à ne consulter que les plus récentes déclarations des gouvernemens, il n’y aurait aucun danger immédiat, aucune menace de guerre prochaine. L’empereur Alexandre III a saisi l’occasion du premier de l’an russe pour parler à plusieurs reprises en souverain qui croit à la paix, qui la désire, qui est décidé à ne rien négliger pour la maintenir. Il l’a dit aux sociétés de la « croix rouge, » il l’a répété plus explicitement encore dans un rescrit qu’il a adressé au gouverneur-général de Moscou, an prince Dolgoroukow, et où il exprime la confiance « que la paix lui permettra, dans l’année courante, de consacrer toutes les forces de l’état à l’œuvre du développement intérieur de l’empire. » De son côté, le chef du ministère hongrois, M. Tisza, qui avait ajourné sa réponse à une interpellation parlementaire, a fini par s’exécuter, et il s’est étudié à calmer les inquiétudes par ses déclarations pacifiques, à rassurer son parlement sur les intentions de la