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IV.

Cette époque de la vie de saint Augustin, qui va de sa conversion à son baptême, est en général peu connue. Les Confessions n’en disent presque rien ; entre les dissipations de sa jeunesse et l’éclat de son âge mûr, elle risque de disparaître. Je crois pourtant qu’il était utile de l’étudier et de lui rendre son véritable caractère.

C’est une sorte de période intermédiaire que d’autres grands docteurs de l’église ont aussi traversée, par exemple saint Cyprien ; il y en a même, comme Arnobe, qui n’en sont jamais sortis. Tous ces gens-là venaient des écoles où ils avaient passé leur jeunesse dans l’étude des chefs-d’œuvre de l’antiquité ; plusieurs d’entre eux étaient ensuite devenus maîtres, et en enseignant aux autres ce qu’on leur avait appris, ils s’y étaient plus étroitement attachés. Le christianisme avait donc trouvé chez eux la place occupée, et il n’y pénétrait que par force. De là, le plus souvent, des luttes violentes entre les anciennes admirations et les croyances nouvelles ; de là aussi quelquefois, dans les momens de fatigue ou d’apaisement, des alliances entre elles, des compromis, des essais pour les faire vivre ensemble, et mettre, s’il se pouvait, le présent et le passé d’accord.

Voilà précisément ce qu’entreprenait saint Augustin, en se retirant à Cassisiacum : la lecture des Dialogues nous montre qu’il veut concilier l’homme ancien et l’homme nouveau, le professeur et le chrétien. Le matin, après avoir fait la prière, on se met à expliquer Virgile ; on cite saint Matthieu et Platon ; on chante les Psaumes et on célèbre Pvrame et Thisbé ; on cherche dans saint Paul des argumens pour se livrer avec plus d’ardeur à la philosophie. Gardons-nous de croire que ce mélange singulier révèle seulement la confusion d’une âme qui se connaît mal, et où se mêlent, sans qu’elle s’en aperçoive, des tendances contraires: c’est un système arrêté. Saint Augustin nous a raconté comment, après de longues luttes et de cruels déchiremens, il s’était décidé à croire sans preuve. Cependant, il ne lui suffit pas de croire, il veut comprendre. La foi ne lui paraît solide que si elle s’appuie sur la raison ; mais la raison a besoin d’être exercée pour atteindre la vérité, et c’est dans les écoles qu’elle s’exerce, par l’étude des sciences profanes, par l’usage de la dialectique, par la connaissance de la philosophie. Malheureusement, toutes ces sciences sont suspectes au christianisme. Saint Paul a pris soin de prémunir les fidèles contre les séductions des philosophes ; Tertullien les regarde comme les