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si paisible : les premiers massacres et la journée du 6 octobre avaient terrifié la mère de Delphine ;les Custine, au contraire, avaient confiance dans l’avenir. Ces dissentimens avaient troublé ces cœurs jusqu’alors si unis. Mme de Sabran eût voulu emmener sa fille avec elle ; Elzéar seul la suivit ; Delphine n’hésita pas à s’associer à la destinée de son mari.

Mme de Sabran alla demander au prince Henri de Prusse une hospitalité qui, en se prolongeant, devait lasser l’amitié. Boufflers la rejoignit, bien convaincu, comme tous les f migrés, qu’il suffirait d’une simple démonstration militaire des puissances sur les bords du Rhin pour « faire rentrer dans le néant les révolutionnaires. » Leurs illusions, sans cesse déçues, reçurent, par la paix de Bâle, une atteinte définitive.

Il fallait vivre, gagner son pain. Dans ces privations de l’exil, habitudes, goûts, langage, modes, d’une société blessée à mort, disparurent. La gaîté de l’esprit résista plus longtemps et finit elle-même par céder devant la mélancolie, ce fruit amer des époques tourmentées. Le prince Henri de Prusse, si dévoué, si prévenant dans les premiers jours, devint capricieux et fantasque ; Mme de Sabran et Boufflers quittèrent son toit. Heureusement le roi Frédéric-Guillaume mit dans sa protection plus de générosité chevaleresque. Il gratifia Boufflers d’une concession de terrain sur les limites de la Pologne, et Boufflers rêva d’y établir une colonie agricole pour les émigrés.

Avant de s’établir dans le domaine de Wimislow où l’attendaient de nouveaux déboires, il résolut de donner son nom à l’amie qui le désirait depuis longtemps. Le chevalier prit le titre qui lui appartenait, et la comtesse de Sabran devint la marquise de Boufflers. Ce ne fut pas le bon évêque de Laon qui présida à la modeste cérémonie du mariage ; lui aussi avait pris le chemin de l’exil et accepté la pauvreté, plutôt que de prêter serment à la constitution civile du clergé. Mais retiré en Pologne, chez la princesse Lubomirska, où il devait mourir en 1811, Mgr de Sabran était trop éloigné de la Silésie pour prêter aux époux son ministère. Ce fut le prince de Hohenlohe, évêque de Breslau, qui bénit presque obscurément, dans cette ville, un mariage qui jadis eût tant ému le grand monde. On était en 1797. Elzéar, seul présent, avait alors vingt-deux ans. Ce n’est que trois ans plus tard que les exilés devaient rentrer en France ; mais il faut revenir en arrière et faire connaître la destinée de Mme de Custine, qui n’avait pas voulu émigrer.

Son beau-père, lié avec Lafayette depuis la guerre d’Amérique, avait pris place parmi les constitutionnels les plus ardens. Il avait contribué à l’organisation des gardes nationales. Très chatouilleux sur l’honneur militaire, il s’élevait courageusement, en toute occasion,