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méridionale à Pérékop étaient encombrées de chevaux morts de chariots brisés, de canons abandonnés. Les levées d’hommes qui s’étaient succédé coup sur coup dans tous les gouvernemens les réquisitions pour le transport des troupes, la suspension des transactions, menaçaient d’épuiser l’empire. Tout indiquait d’ailleurs que le cabinet de Pétersbourg, qui n’avait pas trouvé d’alliés avant ses défaites, verrait immanquablement, si la lutte devait se prolonger, augmenter le nombre de ses adversaires. Les partisans de la guerre ne trouvaient plus à qui faire partager leurs illusions.

Le prince Gortchakof avait changé de tactique : il évitait de blesser les susceptibilités du cabinet de Vienne, il s’effaçait dans une apparente indifférence, affectant une absolue confiance dans les assurances qu’il avait recueillies après notre échec militaire du 18 juin. Ses entretiens avec le comte de Buol ne roulaient plus que sur des généralités; il se disait partisan de la paix, sans que cependant un mot sortit de sa bouche qui aurait pu donner la mesure exacte des sacrifices que son gouvernement était résigné à faire. Il se flattait que l’Autriche, désintéressée par d’habiles concessions, persisterait à payer ses alliés de bonnes parole et laisserait la Russie maîtresse de ses résolutions. Il se méprenait sur les nécessites qui s’imposaient à la politique autrichienne. Tandis que plonge dans une profonde quiétude, il se croisait les bras, déjà le comte de Buol, dans de mystérieux pourparlers s’entendait avec M. de Bourqueney sur la rédaction d’un ultimatum et sur les conséquences de son rejet. Le traité qu’ils élaboraient dans des entrevues nocturnes posait les conditions de la paix ; il entraînait, en cas de refus, de plein droit, la rupture des rapports diplomatiques entre Vienne et Pétersbourg. Une seule difficulté importante il est vrai, restait à résoudre : il s’agissait de savoir si la rupture des relations diplomatiques aurait comme corollaire une déclaration de guerre immédiate. Le comte de Buol hésitait à franchir ce dernier fossé, bien que, par un refus, il eût à redouter une entente directe entre la France et la Russie, et le soulèvement des nationalités slaves et italiennes.

La prudence commandait à l’Autriche de ne pas poser de casus belli tant qu’elle ne se serait pas assuré le concours certain de l’Allemagne. et ne serait pas fixée par de sérieuses garanties sur le développement que-prendrait la guerre et sur les conséquences qu’aurait a victoire. Solidement retranchée à Cracovie et dans es Carpathes, et certaine de n’être pas attaquée par la Russie elle nous proposait une sommation européenne : elle parlait d’étendre le blocus dans la Baltique aux ports prussiens pour arrêter la contrebande de guerre et forcer la main à la cour de Potsdam. Sauf l’engagement d’une entrée en campagne immédiate,