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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 85.djvu/895

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des plus abominables calomnies. Perdant toute mesure et toute raison, il envoyait cette menace honteuse au président de Ruffey : « Qu’il tremble, il ne s’agit plus de le rendre ridicule, il s’agit de le déshonorer ! Cela m’afflige, mais il paiera cher la bassesse d’un procédé si coupable et si lâche ! » Puis, par une aberration inconcevable chez un tel esprit, il écrit à De Brosses directement, le prend à partie, arrange les faits de la cause à sa guise, sans nul souci de la vérité, et termine, après force injures, en le menaçant de la colère du roi, auquel il le dénoncera.

Le président ne s’émut pas outre mesure. Fort de sa conscience et de son bon droit, fort de la dignité de sa vie, de l’estime de toute la province, fort de l’approbation de ses amis, qui avaient refusé l’arbitrage auquel Voltaire voulait le soumettre, il va répondre au roi de Ferney d’un style et d’un ton qu’un seul homme, — le grand Haller, — eût osé jusque-là prendre avec lui. Voltaire, pour ce coup du moins, trouva son maître. Son incomparable génie inspire la plus vive admiration, mais il faut avouer, avec les Bourguignons, que l’on éprouve quelque plaisir en voyant celui des leurs qui fut peut-être leur représentant le plus complet au siècle dernier refuser de courber la tête devant Voltaire, et même le tenir un instant abaissé devant lui. — Et qu’on nous pardonne cette joie, Sainte-Beuve qui n’était pourtant pas Bourguignon, paraît en avoir ressenti tout autant, et par le même sentiment de justice, quand arrivé précisément à juger cette page de la vie de son héros, il va jusqu’à dire : « Il faut voir Voltaire sous bien des jours : ce monarque absolu et capricieux, qui était sans foi ni loi du moment qu’on le contrariait, rencontra une fois dans sa vie quelqu’un d’aussi spirituel que lui, qui lui dit son fait et qui ne fléchit pas. » — Ce quelqu’un, c’est notre président. Voici, en effet, comment il répandit à Voltaire : « Souvenez-vous, monsieur, des avis prudens que je vous ai ci-devant donnés en conversation, lorsqu’en racontant les traverses de votre vie, vous ajoutâtes que vous étiez d’un caractère naturellement insolent. Je vous ai donné mon amitié ; une marque que je ne l’ai pas retirée, c’est l’avertissement que je vous donne encore de ne jamais écrire dans vos momens d’aliénation d’esprit, pour n’avoir pas à rougir dans votre bon sens de ce que vous avez fait pendant votre délire… Je désire, en vérité, de très bon cœur que vous puissiez encore continuer trente ans à illustrer votre siècle ; car, malgré vos faiblesses, vous resterez toujours un très grand homme… dans vos écrits. Je voudrais seulement que vous missiez dans votre cœur le demi-quart de la morale et de la philosophie qu’ils, contiennent… Je vous aurais à coup sûr donné comme présent quelques voies de