Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 85.djvu/90

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des délibérations, ni celui du prince de Prusse, qui rêvait une politique nette et résolue, ni celui de M. de Manteuffel, qui croyait bien servir la cause de son pays et de l’Europe en marchant de son mieux, autant que son maître s’y prêtait, d’accord avec les puissances occidentales.

Lord Bloomheld se présenta à son tour chez le président du conseil ; il venait après le comte Esterhazy, avec plus d’autorité, se plaindre de la contrebande de guerre qui se pratiquait pour ainsi dire ouvertement à Memel, à Dantzig, à Stettin et sur toutes les frontières orientales. S’il ne prononça pas le mot de blocus, il dit que la France et l’Angleterre procéderaient au printemps à des opérations navales imposantes dans la Baltique ; il ajouta sèchement « que la politique qui avait pu être bonne en 1855 ne le serait plus en 1856. » L’avertissement était si significatif.

Les paroles de lord Bloomfield n’étaient que le très pâle reflet des menaces que proférait la presse anglaise. L’organe de lord Palmer>ton, le Morning Post, s’attaquait à la personne du roi : il taxait sa politique de cauteleuse, de déshonorante ; « mais tout cela, ajoutait-il, aura une fin ; il sera contraint par la force à sortir de sa neutralité. L’Angleterre a maintenant une flotte comme on n’en a jamais vu, et la France a une armée prête à se porter où le besoin l’exigera. Il est plus facile de s’emparer de Berlin que de Moscou. Nous donnerons à la Prusse une leçon dont elle se souviendra. Une puissance de second ordre qui ne sait pas tenir son rang mérite un châtiment. »

Le gouvernement prussien ne pouvait rester indifférent devant de pareilles attaques : il ordonna des mesures militaires, et le président du conseil demanda à la commission des finances de la chambre des crédits pour parer dans la Baltique à toutes les éventualités.

Le ministre, aussitôt lord Bloomfield sorti de son cabinet, vint quelque peu troublé à la légation de France. M. de Moustier l’accueillit avec sa cordialité habituelle. Sans contredire son collègue d’Angleterre, il s’appliqua à atténuer la vivacité de son langage. il démontra à M. de Manteuffel que l’heure était venue pour la Prusse de s’affirmer : qu’une démarche énergique faite à Pétersbourg, loin d’irriter l’empereur Alexandre, lui faciliterait sa tâche, qu’elle lui fournirait un puissant argument pour contenir les passions belliqueuses. Il l’engagea instamment à ne pas laisser échapper l’occasion qui, pour la dernière fois sans doute, s’offrait à lui de rendre service à l’Europe.

La crise touchait à son terme. Le langage du comte Esterhazy, surtout celui de lord Bloomfield, avaient produit leur effet ; le roi en était vivement impressionné. Il voyait la Prusse isolée, bloquée,