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Pour être en mesure de négocier et de traiter avec d’autres états, il faut, dans un gouvernement, un organe permanent, un pouvoir sur lequel on puisse en tout temps compter, au moins une tradition respectée de tous. Où, dans la France actuelle, trouver rien de semblable? Est-ce à la chambre des députés? Les majorités y varient à chaque trimestre, et pas un député sur dix n’a quelque notion de l’Europe : cela semble inutile à un législateur français. Est-ce au sénat ? Les hommes compétens y sont moins rares, mais les affaires étrangères ne sont pas dévolues au sénat français comme à Washington au sénat américain. Est-ce au quai d’Orsay? Combien de ministres l’ont traversé depuis dix ans? Les huissiers n’ont pu en retenir les noms. La direction des affaires extérieures est aujourd’hui aux mains d’un homme de tact, d’un homme de sens et de sang-froid ; en quelles mains sera-t-elle dans six mois? Les défiances politiques excluent les hommes qui ont pratiqué les cabinets ou les cours de l’Europe. Connaître une cour serait seul un motif de suspicion. Ce qu’il y a de plus grave, c’est que cela est encore moins la faute des hommes que la faute du régime. C’est la conséquence d’un système où tous les intérêts du pays ; ont abandonnés aux caprices d’une chambre ignorante et aux hasards de majorités qui n’admettent qu’une règle : les considérations électorales.

Du vivant de M. Gambetta, il y avait au moins, à la commission du budget ou à la présidence de la chambre, une influence dominante. Pour être peu constitutionnelle, la dictature occulte du tribun de Cahors n’en avait pas moins l’avantage de donner une sorte de continuité aux fragiles cabinets renversés par les jeux du parlement. Les envoyés des puissances pouvaient encore trouver à qui parler. Aujourd’hui, rien de pareil.

Il y a bien la présidence de la république. On aurait pu croire qu’au milieu de cette incessante mobilité, l’Elysée représenterait l’esprit de suite, indispensable aux relations entre gouvernemens. C’était là, semblait-il, la mission de la présidence. Chacun sait que ce n’est pas ainsi qu’elle a été entendue. S’il est une chose dont, durant son règne de neuf ans, M. Grévy s’est abstenu, c’est la politique étrangère. Pour lui, le monde semblait finir aux montagnes du Jura. Parmi les candidats à sa succession, il y avait un homme capable peut-être de donner à la politique française une impulsion personnelle; on l’a écarté. On tenait à ce qu’aucune direction ne pût venir de l’Elysée. Si la présidence de la république est encore quelque chose, on paraît ne pas vouloir que le président soit quelqu’un. Au chef de l’état, il est interdit d’avoir une politique.

L’espèce de révolution parlementaire de décembre dernier est peu faite pour rassurer les amis de la France, Certes, c’est une belle chose qu’une élection présidentielle en une après-midi. Le mérite.