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pas de tuer le soldat russe, disait Napoléon, il faut encore le renverser. »

M. de Moustier avait donné à M. de Manteuffel un sage conseil ; la Prusse s’était réhabilitée aux yeux de l’Europe à bon compte, en enfonçant une porte largement entre-bâillée, et, par cet acte de vigueur, elle avait du même coup rendu un signalé service à l’empereur Alexandre.

Le roi ne perdit pas une minute pour télégraphier la grande nouvelle à la reine Victoria : « La Russie a accepté, disait-il. Je m’empresse de vous transmettre cette nouvelle, précurseur de la paix, certain que Votre Majesté se joindra à moi pour en rendre grâce au Tout-Puissant. Je vous prie de me garder le secret. » Malgré la rudesse de ses procédés, l’Angleterre restait toujours chère à son cœur ; plus elle le malmenait, plus vite il revenait à elle. Autant il avait coûté à Frédéric-Guillaume de menacer la Russie, autant il se félicitait aujourd’hui de l’avoir fait.

Le prince de Prusse partagea la satisfaction de son frère, mais sa joie était voilée par le souvenir des défaillances dont il avait été le spectateur attristé. Il avait eu trop et trop tôt raison. Le prince Charles, au contraire, était exaspéré : il ne voyait que la Russie abaissée, la France grandie, il oubliait la Prusse. Le parti de la Croix n’était pas moins consterné d’un dénoûment qui donnait à tout ce qu’il avait dit et fait, depuis le commencement de la guerre, un si rude et si éclatant démenti.

Les coalisés de Bamberg, qu’on appelait à Berlin dédaigneusement les Bambergeois, étaient joués. La diplomatie prussienne leur arait prêché la prudence et l’abstention, et le cabinet de Berlin, sans les prévenir, avait frappé le coup décisif. Son délégué à la Diète se non ail désavoué par l’événement ; son rôle devenait épineux.

M. de Beust se plaignit amèrement. Il reprochait à la Prusse de lui avoir soufflé le mérite des concessions Alites par la Russie. Il prétendait qu’elle s’était subrepticement glissée dans la brèche que lui seul avait ouverte.

On célébrait, le 20 janvier 1856, au palais des Linden, qu’habite encore aujourd’hui l’empereur d’Allemagne, les fiançailles de la fille du prince de Prusse avec le grand-duc de Bade. M. de Moustier étant retenu à la légation par une nouvelle douloureuse, la mort de sa mère ; j’eus l’honneur de le représenter au cercle que, suivant l’étiquette, tenait la princesse Louise.

La princesse n’avait que seize ans ; elle débutait à la cour par une épreuve troublante : elle s’en tira avec une aisance et une simplicité parfaites. Elle eut un mot aimable pour tous les membres