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peu, on trouverait l’explication de la différence, extraordinaire au premier abord, des deux budgets. Chez nous, d’ailleurs, les augmentations sont récentes : en 1875. avec un effectif de 469,000 hommes, nous dépensions 522 millions; en 1887, avec 30,000 hommes de plus, nous dépensons 664 millions. En 1847, avec 380,000 hommes, nous ne dépensions que 373 millions, et le pain valait aussi cher qu’aujourd’hui.

Les fonds secrets se sont accrus, depuis dix ans, de 400,000 francs au ministère de la guerre, de 200,000 aux affaires étrangères, d’autant à l’intérieur, et l’on en concède 65,000 à la marine, qui n’en avait jamais eu. Les cabinets des ministres, considérés par les républicains d’autrefois comme des ateliers de passe-droits, sont bondés de favorisés qui s’y assoient un jour, le temps de préparer un nid de leur choix. Pourquoi fallait-il au général Boulanger 13 officiers d’ordonnance, alors que le maréchal Niel, ministre en 1869, n’en avait que 7? Il y avait là six personnes immobilisées sans aucun profit. Les assemblées qui laissent les dépenses militaires se multiplier sans raison sont-elles moins blâmables que celles qui se refuseraient aux sacrifices indispensables à la protection du pays ? Comment admettre que le sous-secrétaire d’état des colonies ait besoin d’un chef de cabinet, d’un chef adjoint, de huit personnes en tout, pour le travail qu’un directeur faisait jusqu’en 1876 avec deux employés? Le ministère de l’intérieur se composait, en 1847, de 200 fonctionnaires, et ce département avait alors dans ses attributions les Beaux-Arts, les gardes nationales et les télégraphes. Ces services sont passés ailleurs ou supprimés ; et ce ministère entretient cependant, en 1888, 280 chefs, rédacteurs et expéditionnaires. Le département des travaux publics, de l’agriculture et du commerce, comprenait, en 1869, 1 ministre, 1 chef de cabinet, 1 secrétaire-général, 4 directeurs, 11 chefs de division et 35 bureaux ; en 1887, nous avions pour les mêmes fonctions: 3 ministres, 1 sous-secrétaire d’état, 6 chefs ou chefs-adjoints de cabinet, 11 directeurs, 11 chefs de division et 51 chefs de bureau. Celui qui avait dû jadis, comme M. Lockroy, rire de ces abus en spirituel vaudevilliste, était plus copieux que les bureaucrates de carrière, puisqu’il s’était taillé un des plus gros cabinets dans le plus mince des ministères. A la comptabilité, qu’un simple chef de bureau tenait en règle jusqu’à ces dernières années, préside maintenant un lot notable de gens de plume : l’art de faire difficilement des choses faciles.

Et l’opinion est, d’ores et déjà, si bien résignée à ce système, que l’on ne peut seulement proposer la suppression d’un surnuméraire, d’une rame de papier ou d’une livre de bougies, sans qu’aussitôt un personnage officiel vienne déclarer que c’est compromettre