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probables, disait déjà Leibniz, devrait faire partie de la philosophie; j’y ai souvent songé. »

— Mais comment mesurer les degrés de probabilité philosophique? — Dans ce calcul on n’a pas besoin, comme M. de Hartmann, de mettre en avant tout un appareil d’algèbre[1]. Même dans les sciences positives, par exemple en histoire, en astronomie, dans les sciences naturelles, il y a des probabilités qui ne se prêtent pas à la mesure mathématique et qui, cependant, n’échappent point à l’appréciation logique.

Selon nous, chaque système doit être d’abord considéré en soi, avant toute confirmation de l’expérience. À ce premier point de vue, un système sera d’autant plus probable qu’il sera plus simple dans ses principes et plus riche dans ses conséquences, de manière à relier un plus grand nombre d’idées et de faits, tout en restant toujours d’accord avec lui-même. Dans les mathématiques, étant donnés des nombres qui se suivent au hasard et irrégulièrement, on peut toujours trouver diverses formules qui les relient, mais la meilleure sera tout ensemble la plus simple et la plus complète. De même en philosophie : les faits intérieurs et extérieurs sont comme des points donnés entre lesquels il faut tracer la ligne la plus simple et le plus court chemin. Ou plutôt, un système est un organisme dont toutes les parties doivent être nécessaires l’une à l’autre et se soutenir mutuellement. Aussi Schopenhauer est-il allé jusqu’à dire que l’unique critérium d’un système métaphysique, c’est la consistance[2].

Le critérium logique est en même temps conforme à ce que Leibniz appelait le « dynamisme universel. » L’esprit, comme la nature, obéit à la loi qui veut que les plus grands effets soient obtenus avec la moindre dépense de force. Comprendre les choses, c’est ramener de plus en plus à l’unité la diversité infinie des impressions sensibles et

  1. M. de Hartmann prétend démontrer, par le calcul des probabilités, que si l’oiseau couve ses œufs, c’est en vertu des causes finales. L’argumentation, sous son apparence algébrique, n’en est pas moins enfantine, comme Lange l’a excellemment démontré.
  2. « Toute conception d’une nécessité vitale, dit à son tour M. Spencer, c’est-à-dire telle qu’on ne peut la séparer du reste ans exposer l’esprit à une dissolution, doit être reçue pour vraie par provision. Il n’y a pas deux moyens de prouver la solidité d’une croyance, mais un seul : c’est de faire voir qu’elle concorde entièrement avec toutes les autres; la philosophie, réduite à faire ces suppositions fondamentales sans lesquelles il n’y a plus de pensée possible, doit, pour les justifier, montrer qu’elles concordent avec toutes les autres affirmations de la conscience... Une fois que de ces suppositions provisoires on a tiré les conséquences, et que l’accord de ces conséquences entre elles et avec les suppositions premières a été démontré, ces suppositions sont justifiées. » Ajoutons que ces suppositions dont par le M. Spencer, et qu’il semble présenter comme des hypothèses, doivent être des données réelles, des thèses ou positions solides dans la conscience même, établies et justifiées par l’analyse ultime de l’expérience et de la connaissance, qui est le fondement de la métaphysique.