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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/158

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hérésie était dans ces paroles, écrites en 1497 aux princes de l’Europe : « Je vous jure, au nom du Seigneur, que cet Alexandre n’est point pape et ne peut être considéré comme tel, car, laissant de côté son très criminel péché de simonie, par lequel il a acheté le siège papal, et chaque jour vend au plus offrant les bénéfices ecclésiastiques, laissant aussi ses autres vices manifestes, j’affirme qu’il n’est pas chrétien et ne croit point qu’il existe un Dieu, ce qui dépasse le comble de toute infidélité. » L’évêque de Vasona, légat d’Alexandre, et les commissaires apostoliques présidèrent à cette iniquité. Les témoins furent intimidés par la torture, leurs dépositions furent faussées, les paroles de Jérôme et de ses deux compagnons défigurées. Cependant, on ne put rien établir de sérieux contre les accusés, ni quant à la doctrine religieuse, ni quant à la conduite politique. On les condamna à être pendus, puis brûlés. La sentence fut exécutée le 23 mai 1493. Quand l’évêque dégrada Savonarole de sa dignité sacerdotale, il oublia, dans son trouble, la formule liturgique et dit : « Je te retranche de l’église militante et de l’église triomphante. » Le martyr répondit : « De la militante, oui, mais non pas de la triomphante, car tu n’as pas ce droit. » C’était la conscience même de la chrétienté qui, par ce cri de Savonarole, déniait au saint-siège le droit d’intervenir dans les conseils de Dieu et de fermer ou d’ouvrir l’entrée du royaume céleste.

Mais Alexandre VI ne s’inquiétait point des portes du paradis; il lui suffisait que la voix importune de ce moine fût enfin muette. La chrétienté était dorénavant clairement avertie de la façon dont le souverain pontife accueillerait la protestation des mystiques, la clameur des prophètes et les textes tirés de l’Évangile. Il s’agissait maintenant de trouver en Italie et à l’étranger des coadjuteurs bienveillans à la politique dynastique des Borgia. L’amitié de la France venait spontanément au saint-siège. Louis XII avait besoin de la dispense pontificale pour répudier sa femme, Jeanne de Valois, et épouser la veuve de Charles VIII, Anne de Bretagne. Alexandre fit porter le bref apostolique par César, qu’il avait délivré, au mois d’août 1498, de son chapeau de cardinal et de sa mitre d’archevêque. Dès le mois de juillet, Lucrèce, veuve d’un mari toujours vivant, épousait don Alphonse de Bisceglie, bâtard d’Alphonse II d’Aragon, un enfant de dix-sept ans. Cependant, l’ancien cardinal de Valence en Espagne recevait de Louis XII le titre de duc de Valentinois en France, puis, au printemps de 1499, la main de Charlotte d’Albret, sœur du roi de Navarre. Il s’appellera désormais César Borgia de France. En même temps, une alliance formelle était conclue entre le roi, le pape et Venise. La république sérénissime et le saint-siège livraient à Louis XII Ludovic le More,