Giovanni Sforza s’était enfui à Venise, puis à Mantoue. Rimini chassait ses Malatesta et ouvrait ses portes au Valentinois. L’armée ducale s’achemina du côté de Faenza, que gouvernait le seul tyran qui fût, dans cette région, aimé de son peuple, Astorre Manfredi, un orphelin, le plus bel adolescent de toute l’Italie. Son père avait été assassiné et sa mère chassée comme complice du crime. Ses sujets l’avaient protégé contre les intrigues de ses cousins. Il avait grandi dans la terreur de Venise, de Florence et de Bologne, qui convoitaient son héritage. Vitellozzo souleva contre Astorre une partie de la campagne de Faenza. La ville, réduite à ses propres ressources, étroitement assiégée, jura de combattre jusqu’à l’épuisement de ses forces, pour sa liberté et pour son prince. Le siège dura près de six mois. On vit, un jour d’assaut, une jeune fille, Diamante Toselli, repousser et précipiter du haut des remparts les soldats du duc. Les Florentins et Giovanni Bentivoglio abandonnèrent tour à tour Astorre, leur pupille. Pendant tout cet hiver. César séjourna à Imola. Le 26 avril, les anciens signèrent la capitulation et remirent Faenza au Valentinois. Astorre devait, selon le traité, garder sa liberté et ses biens, garantis par la clémence du pape; la commune payait ses créanciers; la ville conservait ses coutumes, et les fonctions communales étaient réservées à ses seuls citoyens. Le soir même, Astorre et ses frères se rendirent au camp de César. Le duc, violant sa promesse solennelle, les dirigea sur le château Saint-Ange. Ils y languirent de longs mois, et Burchard a noté leur fin en ces quelques lignes : « Le 9 juin (1502), on trouva dans le Tibre, noyé et mort, le seigneur de Faenza, jeune homme d’environ dix-huit ans; il était d’une si belle stature et d’un visage si charmant qu’on n’eût pu trouver son pareil parmi mille jeunes gens de son âge; il avait une pierre au cou. Près de lui, deux jeunes gens, liés l’un à l’autre par les bras, l’un de quinze ans, l’autre de vingt-cinq; avec eux, une femme et beaucoup d’autres. »
La reddition de Faenza avait achevé, en 1501, la constitution du duché de Romagne, dont le Valentinois recul le titre par bulle pontificale. C’est à ce moment qu’il eût dû s’arrêter: son œuvre avait des chances d’avenir. Il avait jeté, au centre de l’Italie, le lest d’un principal nouveau, soutenu par la France et par l’église ; il pouvait, à la mort d’Alexandre, demeurer comme tyran militaire de la péninsule et reprendre le rôle perdu par les Sforza. Ce duché, qui n’était point encore soudé au royaume ecclésiastique, ne compromettait point l’équilibre italien. Sur ses frontières du sud et de l’ouest, il était limité par Urbin, Camerino, Pérouse, la Toscane et l’état de Bologne. L’erreur de César fut de combler le fossé qui le séparait du domaine de l’église, de déposséder les Montefeltri