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bois et les prés, chantant par ici, soupirant par là, tantôt nous désaltérant au pur cristal des fontaines, tantôt nous asseyant au pied d’un saule pour nous entretenir des tendres pensées que nous inspirera l’amour et pour écrire les vers qu’Apollon nous dictera. Quelle vie nous allons mener, ami Sancho! que de cornemuses vont résonner à nos oreilles! que de tambourins, de violes et de guimbardes ! » Garibaldi avait peu de goût pour les pastorales, les guimbardes et les tambourins. Mais il se demandait parfois si le vrai bonheur n’est pas un ermite, si on peut le trouver ailleurs que dans les lieux écartés, dans les solitudes, dans quelque île ignorée et déserte, où le silence n’est interrompu que par le chant d’un oiseau qui se cache et par le doux chuchotement d’une eau qui fuit.

Il est facile de se moquer de ses illusions, de blâmer ses fautes, ses erreurs, ses folies; mais il faut reconnaître qu’il avait l’âme généreuse, et nous ne pouvons oublier qu’à l’âge de soixante-trois ans, ayant à acquitter une dette d’honneur envers la France, il est venu se battre pour nous. Il a fait ce qu’il a pu. Nous nous plaignons volontiers de l’ingratitude des autres, nous n’avons pas le droit d’être ingrats. D’ailleurs, si les chevaliers errans ont un zèle souvent dangereux et s’il est permis aux hommes d’état de juger sévèrement leurs aventures, les aventuriers à leur tour sont autorisés à demander aux hommes d’état ce qu’ils font pour le bonheur du monde. Étudiez de près l’œuvre accomplie par le plus grand politique de ce temps, méditez quelques-uns de ses discours où l’histoire est artificieusement travestie et où respirent un froid mépris des hommes, la haine de toute opinion libérale, l’insolence de la force heureuse, considérez l’état où ce grand semeur d’inquiétudes a réduit l’Europe, les charges qui s’appesantissent d’année en année sur les peuples, l’abus des dépenses improductives, les misères qu’engendre une paix armée presque aussi coûteuse et aussi lassante que la guerre, et vous serez dans une bonne disposition d’esprit pour lire les Mémoires de Garibaldi, pour juger avec quelque indulgence ses manifestes ampoulés et ses utopies. Peut-être vous direz-vous : « Il avait l’esprit étroit, l’imagination chimérique, mais il avait de l’âme, et souvent les grands politiques n’en ont point; que ses péchés lui soient remis! »


G. VALBERT.