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en est quelquefois discutable. C’est en nous plaçant à ce point de vue, en dehors duquel le plus beau livre du monde n’est presque plus un livre, mais un objet de commerce, que nous allons feuilleter le volume de M. Le Petit, et soumettre à l’auteur quelques-unes de nos critiques avec quelques-uns de nos vœux.

Sur le roman de Rabelais, d’abord, nous nous attendions à trouver quelque chose de neuf, un article plus substantiel et plus intéressant. Ainsi les Grandes et inestimables Chroniques du grand et énorme géant Gargantua sont-elles l’œuvre de Rabelais ? Du premier livre de Pantagruel ou de la Vie de Gargantua, lequel des deux a paru le premier ? Le cinquième livre est-il ou non de Rabelais ? et, s’il n’est pas de lui, quel en est l’auteur probable ? Telles sont les trois ou quatre questions sans une solution ou plutôt sans une discussion desquelles on peut dire avec vérité qu’il n’y a pas de Bibliographie de Rabelais, et dont la seconde, mais surtout la troisième, importerait beaucoup à une connaissance plus précise du caractère de Rabelais. Ces questions, et bien d’autres qui s’y rattachent, nous eussions souhaité qu’au lieu de les trancher sur la parole de Brunet et de Charles Nodier, M. Le Petit les discutât de lui-même à nouveau, qu’il ne se contentât point d’affirmer, qu’il eût essayé de prouver, et enfin, pour le seul cas où il l’ait essayé, qu’il se fût montré plus difficile en fait de preuves. De ce qu’en effet Rabelais, tout au début du Gargantua, renvoie plaisamment le lecteur à « la grande chronique pantagruéline » pour y reconnaître, selon son expression, a la généalogie et antiquité dont nous est venu » le bon géant, il ne résulte point du tout que ladite chronique pantagruéline fût déjà composée. J’aimerais autant conclure, de la proverbiale plaisanterie de Molière, à l’existence, dans la Métaphysique ou dans les Analytiques d’Aristote, d’un chapitre des chapeaux.

De Rabelais, M. Le Petit passe à Marguerite de Navarre et à Bonaventure des Périers. C’est une occasion de rappeler ici que la première édition de l’Heptaméron, ou plutôt la seconde, — car il en avait paru précédemment une autre sous le titre d’Histoires des amans fortunés, — est un des beaux livres que l’on ait imprimés au XVIe siècle, où l’on en a tant imprimés de si beaux, comme si l’art de l’imprimeur avait d’abord atteint sa perfection, et que, sans précisément déchoir, il fût allé depuis lors en se vulgarisant : c’est le cas, ou jamais, d’employer ce vilain mot. Pour cette seule raison de la beauté de l’impression, nous regretterions que M. Le Petit ail oublié de faire mention au moins du Plutarque d’Amyot, quand d’ailleurs ce livre célèbre n’aurait pas, à tous égards, une place marquée dans une Bibliographie des principales éditions originales d’écrivains français. Peut-être est-il de ceux, comme il y en a plusieurs dans l’histoire, dont la réputation et l’influence ont passé de beaucoup le mérite intrinsèque et réel ; et pour ma part je le croirais assez. On ne saurait cependant l’omettre ; et,