Le sentiment qu’il eut dès l’enfance d’appartenir à un parti irrévocablement vaincu, sentiment dont il est impossible de faire comprendre l’altière tristesse à qui ne l’a pas éprouvé, fut sans doute pour beaucoup dans cette résolution. Il était né d’un père catholique romain, si ardent contre le nouveau régime, qu’à la révolution de 1688 il abandonna les affaires et la capitale pour se retirer sur la lisière de la forêt de Windsor, où il préféra vivre sur ses capitaux plutôt que d’en aider le crédit public. On peut dire que Pope ne désavoua jamais l’héritage moral que lui faisaient de telles opinions. Quoique son catholicisme n’ait jamais été une gêne pour sa pensée, il se conduisit cependant toute sa vie comme s’il l’obligeait. On ne le vit jamais faire aucune avance aux sectes régnantes; il eut des évêques pour amis, et ne fut pas flatteur de l’église établie; il vécut au milieu de confrères et de rivaux qui appartenaient au christianisme protestant, et il n’eut aucune complaisance pour la religion triomphante. Il est vrai qu’il garda toujours à l’égard du catholicisme la même réserve ou la même neutralité; et si l’on songe que ses premiers maîtres étaient catholiques, qu’une grande partie de sa société habituelle, surtout dans sa jeunesse, était composée de catholiques, que les personnages de la Boucle de cheveux enlevée étaient tous catholiques, que ses deux amies, Thérésa et Martha Blount, sur lesquelles il porta tout ce que son pauvre corps débile permettait à son âme d’ardeur et de tendresse, étaient catholiques, cette neutralité ne sert qu’à faire mieux ressortir le souci constant qu’il eut de tenir son intelligence libre en restant à l’écart de toute controverse et de tout esprit de parti. Il n’eut donc avec la société de son temps d’autres relations que de vie mondaine; mais là encore il porta cette même indépendance et cette même réserve. Les noms aristocratiques que vous rencontrez dans
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