dans sa substance et sa forme, mais dans son accent même. Si, comme il est probable, l’auteur du Demi-Monde et de l’Etrangère ignore cette idylle de Pope, je la recommande à sa curiosité: il y retrouvera le genre de passion de plus d’une de ses héroïnes, jusqu’au son de voix inclusivement[1],
Je viens de parler des paradoxes et des thèses risquées et scabreuses de Pope. Une telle assertion demande des preuves immédiates. En voici une qui paraîtra peut-être décisive. Savez-vous que Pope, avant Saint-Preux, avant Werther, avant les romantiques du XIXe siècle, a fait l’apologie du suicide par amour, et l’a faite avec la même chaleur, la même éloquence, les mêmes argumens? Parmi les poèmes de sa première jeunesse, il en est un de dimensions modestes qui va faire en une minute cette preuve que le lecteur est en droit de réclamer, l’Elégie sur la mort d’une dame malheureuse.
On ignore la date de la composition de cette élégie, qui parut dans l’édition générale des premiers poèmes de Pope en 1717, et l’on est encore moins fixé sur l’héroïne de cet événement tragique, laquelle est restée si mystérieuse qu’il s’est formé à son sujet presque autant de conjectures que pour le masque de fer. Une jeune femme de haut rang et de grande fortune, placée sous l’autorité d’un tuteur, s’éprit d’un jeune homme de condition inférieure à la sienne. Sur la découverte de cette passion, le tuteur, espérant que le temps et l’absence en auraient raison, envoya la jeune femme en France; mais les deux amans ayant persisté à correspondre plus que jamais, et le tuteur ayant alors entouré sa pupille d’une surveillance de plus en plus gênante, celle-là, exaspérée par cette tyrannie, se procura une épée par une suivante et se donna la mort. Telle est la version adoptée par Samuel Johnson, sur la foi d’un seul témoin de la vie de Pope, ses recherches pour arriver à la découverte de la vérité étant restées, nous apprend-il, absolument stériles. Selon d’autres, l’héroïne en question serait la même dame à laquelle le duc de Buckingham aurait adressé une pièce sous. Ce titre : A une dame qui veut se retirer au couvent, et c’est de notre duc de Berry qu’elle aurait été éprise. Enfin, selon une autre tradition qui porte certains caractères de vérité, et qu’on aimerait à croire tout à fait fondée, cette dame s’appelait Withinbury ou Winsbury, était de taille déformée, et c’est de Pope même qu’elle fut éprise.
- ↑ Je lui recommande surtout le passage qui commence par ce vers
- But oh! what aggravates the killing smart...