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George Ier, l’Auguste qui ramène les jours de Saturne, c’est-à-dire l’âge de plomb, au sens astrologique du mot. Que de triomphes déjà! « Wren descend dans sa tombe, le chagrin dans l’âme; Gay meurt sans être pensionné, malgré ses cent amis. Que les choses politiques d’Irlande soient ton lot, Swift; et à toi. Pope, dix ans de commentaires et de traductions! »


VI.

Montrer comment il y eut dans Pope un premier poète qui, par la force innée des qualités poétiques propres à sa nation, put résister inconsciemment aux doctrines littéraires qu’il avait volontairement adoptées; comment, par les fatalités de la vie et de la nature, ce poète disparut brusquement après avoir produit des œuvres qui, par l’éclat et la hardiesse de la fantaisie, le sentiment profond de l’amour, la véhémence passionnée, le rapprochent tellement de nous qu’il peut être dit un précurseur, telle est la lâche que nous nous étions proposée, et elle est maintenant terminée. Toutefois, elle serait incomplètement remplie si nous ne nous arrêtions pas un instant devant le Pope d’après la traduction d’Homère, le Pope satirique et didactique. L’unité de ces pages n’en sera pas troublée, car l’examen, même sommaire, des œuvres de cette seconde période nous montrera la même résistance de ses qualités natives aux formes adoptées par lui. De même, en effet, qu’il y eut un romantique en puissance dans le premier Pope, il y eut dans le second un humoriste en fait, et c’est très justement que Thackeray lui a donné une place dans sa galerie. Humoriste, il l’est doublement, et comme poète et comme observateur de la nature humaine.

D’ordinaire, les célébrités rapides ont l’avantage de ne pas laisser à la malveillance et à l’envie le loisir de les contester. Pope fit exception à cette règle; il fut célèbre dès la première heure, et dès la première heure aussi, il fut attaqué sans merci. Il était, on le sait, très sensible à la critique et irascible comme un enfant devant l’injure; aussi, lorsque l’achèvement de sa traduction d’Homère lui laissa quelques loisirs, les employa-t-il à se venger de toutes les blessures d’amour-propre dont tous les Giboyers de Grub street lui avaient fait acheter sa réputation. Cette vengeance s’appelle la Dunciade c’est-à-dire l’épopée des savantasses, pédans, rats de bibliothèques, vers de bouquins, distillateurs d’essence de pavot, spadassins de la plume, tous gens compris sous la dénomination générale de dunces[1], et formant un peuple véritable par le

  1. Je rencontre, sur ce mot de dunce, une explication étymologique assez curieuse. De même que notre mot espiègle vient du petit livre allemand d’Eulenspleyel, si célèbre au XVIe siècle, dunce viendrait du fameux scolastique Duns Scot. Quand on voulait désigner une variété de pédant quelconque, on disait c’est un Duns, comme nous disons un Harpagon pour un avare ; avec le temps, le nom propre disparut, et il ne resta qu’un substantif.